Vers la Victoire et la Libération 2/2

Djerba 1944, la chienne du débarquement

Deuxième pièce à conviction de notre thème sur la Libération de la France : Djerba. Il ne s’agit pas de l’ile tunisienne, non, mais plutôt d’une chienne au destin extraordinaire ! C’est l’histoire d’une chienne qui a fait la campagne d’Italie que nous raconte ici René Chambe. Et la campagne ne lui suffisant pas, elle participa au débarquement de Provence le 16 août 1944. Dans ses « Propos d’un vieux chasseur de coqs », il lui consacre un émouvant passage.

« […] il n’est pas possible de ne pas dire auparavant au moins quelques mots de la chienne Djerba, que j’ai ramenée de la campagne d’Italie de 1944 :

A cette époque, je faisais un stage au 3e Tirailleurs algériens [ndlr : en fait de stage, Chambe s’était discrètement retiré ses étoiles de général et avait combattu comme simple soldat]. C’était le 3 juin. Nous combattions sous Rome, prêts à y pénétrer. La défense allemande pliait. Tout brûlait dans la campagne romaine, les villages, les fermes, les maisons isolées, même les moissons, incendiées par les lourds obus percutants.

Couchés dans les blés mûrs, nous avancions sans grand danger par bonds,dans le bruit, les flammes et la fumée de la bataille. Les animaux domestiques, chevaux, bœufs, vaches, brebis, libérés en hâte par leurs propriétaires, fuyaient en tous sens, pris de panique au milieu des incendies.

Soudain, je m’aperçus qu’un jeune chien venait de se réfugier auprès de moi. Plus précisément une jeune chienne, âgée sans doute de quatre à cinq mois. Elle était ravissante.


René Chambe - libération débarquement djerba 1
La chienne Djerba dans les taillis de Champagny-en-Vanoise combattit pour la prise de Rome et débarqua en Provence… Collection René Chambe

De robe blanche, marquée de larges taches sombres aux trois poils mélangés (noir, blanc et roux. Signe de race). Elle portait sur le visage un éventail de longs poils blancs, au travers duquel brillait son regard doré magnifique. J’étais allongé derrière un talus. Elle était venue se blottir tout contre moi, cherchant refuge. Elle ne pouvait, je crois, mieux choisir… Je l’avais caressée, flattée, rassurée. Fouillant dans mes poches, j’avais même trouvé un reste de ration K de l’armée américaine. Elle l’avait accepté avec un évident plaisir.

C’était de toute évidence une jeune chienne de chasse. Elle n’avait pas de collier. A qui appartenait-elle ? D’où venait-elle ? Allez donc savoir !

Quand nous nous étions levés pour un nouveau bond, j’avais voulu l’écarter, la chasser, la renvoyer chez elle. Ah bien, ouiche ! Elle était restée dans mes jambes, avec moi, manœuvrant comme nous, courant et se couchant en même temps que nous. Les tirailleurs riaient.

C’est bien simple, elle ne m’a plus jamais quitté. Elle a fait avec moi le débarquement du 15 août 1944 [16 août, ndlr] en Provence, à bord d’un bateau américain. Les Américains, qui ne toléraient aucun animal à bord (mais absolument aucun !), avaient fermé les yeux à cause de mes étoiles. Cela sert quand même quelquefois d’être général.

René Chambe - libération débarquement djerba 2
Djerba avec son maître, le général Chambe, tous deux des anciens combattants depuis le Corps Expéditionnaire Français d’Italie jusqu’au débarquement de Saint-Tropez le 16 août 1944. Ici au Repaire. Collection René Chambe

J’avais baptisé la petite chienne Djerba, à cause de mes tirailleurs. Elle peut se vanter d’avoir été le seul passager à quatre pattes à avoir pris part au débarquement de vive force en France. Elle avait été choyée par tous au cours de la traversée. Et magnifiquement nourrie ! Le 15 août nous avions eu à déguster de la dinde.

Tous les 15 août, tous les soldats américains, combattants ou non, de Terre, de Mer et de l’Air, où qu’ils soient, en Amérique, en France, en Afrique, en Extrême-Orient doivent obligatoirement manger de la dinde (des dindes superbes), c’est une tradition sacrée ! De même à Noël. L’intendance américaine s’était magnifiquement débrouillée, en pleine guerre, à l’aide de réfrigérateurs et de congélateurs. Tout le monde avait eu de la dinde.

Djerba en avait mangé sa bonne part. Par la suite, elle se révéla excellente en montagne. Elle se passionna immédiatement pour le coq de bruyère, fonçant dans les couverts les plus épais. Je me souviens de quelques-uns de ses magnifiques arrêts. Je les ai encore devant les yeux.

A quatre ans, Djerba était devenue une chienne splendide. Quand je la promenais, elle faisait se retourner les gens dans les rues de Paris.


René Chambe - Grenoble 23 août 1944 sa fille cadette Jacqueline
Voici la première photo du général Chambe de retour avec une armée victorieuse, ici le 23 août 1944 au château des Alloves à Saint-Martin-d’Hères (Isère) au lendemain de la libération de Grenoble. Il pose avec sa fille cadette Jacqueline Jarrosson et derrière lui, buvant au bassin… Djerba ! Collection Agnès Jarrosson.

Djerba est morte le 3 janvier 1956. Elle n’était âgée que de douze ans. Que de larmes j’ai versées sur elle ! Elle repose dans le petit cimetière des chiens du Repaire. »

René Chambe

Texte extrait de Propos d’un vieux chasseur de coqs, Presses de la Cité, 1977.


Les deux articles de la série « Vers la Victoire et la Libération » :

1/2 Deux lettres exceptionnelles de René Chambe.

2/2 Djerba 1944, la chienne du débarquement.

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La vie, l’œuvre et les archives du général d’aviation et écrivain René
Chambe (1889 – 1983).

https://generalrenechambe.com