Parcours de l’écrivain

Avant l’écrivain

Le jeune René Chambe a déjà le goût de l’écriture à tel point que ses professeurs de lettres le verraient bien embrasser une carrière littéraire. Doué également pour le dessin, René déçoit aussi ses professeurs de dessin qui se félicitent pourtant des 1er Prix qui lui sont attribués… Les uns et les autres doivent s’incliner devant sa vocation militaire : l’affront de 1870 doit être lavé, il sera de ceux qui le laveront, quoi qu’il lui en coûte. Cependant, son père Emile a semé en lui la graine de l’écrivain. Avocat et rentier, il meurt en 1902 à l’âge de 43 ans, en laissant tout de même à ses deux fils deux romans déjà publiés, et une pièce de théâtre. René Chambe se sentira plus tard comme « son héritier spirituel » et considèrera son œuvre – bien différente – comme la continuité de celle inachevée de son père.

Débuts prometteurs d’un romancier

René Chambe débute sa vie d’écrivain durant l’entre-deux-guerres avec la publication de ses trois romans (Le Bracelet d’ébène en 1926, Sous le casque de cuir en 1928, Altitudes en 1932). Le bracelet d’ébène se distingue du reste de son œuvre car, à la fois roman d’aventure et d’espionnage, et prenant pour toile de fond un contexte militaire à la veille de la Grande Guerre, il n’a cependant pas l’utilité des ouvrages suivants. Encouragé par Maurice Renard, auteur notamment de romans de science-fiction, et primé par la Société des Gens de Lettres auquel ce dernier appartient (secrétaire), René Chambe poursuit avec Sous le casque de cuir. Le manuscrit est édité par Gilbert Baudinière coutumier de romans d’aventure populaire et plus particulièrement de la littérature aéronautique en devenir. Maurice Renard en signe l’élogieuse préface. Si, en lisant Le bracelet d’ébène, la critique a évoqué une parenté avec Pierre Benoît, autre auteur de romans d’aventures, d’autres n’hésitent pas à affirmer que Sous le casque de cuir vient enfin reprendre le flambeau allumé en 1923 par Joseph Kessel avec L’équipage. Récompensé par l’Aéro-Club de France, ce roman à succès est adapté au cinéma pour un film éponyme réalisé par Albert de Courville qui sort en 1932 mais qui est interdit en Allemagne notamment. Cette même année, Chambe publie Altitudes, toujours avec Baudinière à qui il restera fidèle jusqu’à la veille du deuxième conflit mondial. C’est son troisième et dernier roman, préfacé par Paul Chack, un camarade officier de marine et écrivain renommé. Avec ses deux derniers romans, il est désormais reconnu comme un écrivain de l’aviation. Par ailleurs, il s’essaie à l’écriture de deux comédies dramatiques, Le Fou et Rédemption, restées sans suite.

Antoine de Saint Exupéry, que René Chambe (de 11 ans son aîné et Lyonnais comme lui) rencontrera assez vite dans le milieu littéraire, publie ses premiers livres à la même époque L’aviateur (1926), Courrier Sud (1929) et Vol de nuit (1931).


René Chambe - Sous le casque de cuir - manuscrit 1 René Chambe - Sous le casque de cuir - manuscrit 2

Le manuscrit original de Sous le casque de cuir, publié en 1928 par les Editions Baudinière. Collection René Chambe.


Vers une écriture… utile ?

C’est Paul Chack justement qui l’encourage à adopter le récit historique plutôt que le roman (lettre du 9 mars 1928. Archives René Chambe). René Chambe va constater lui-même les avantages de ce format court, plus efficace, plus concentré, plus percutant. Il délaisse les intrigues amoureuses de second plan qui ont émaillé ses romans. René Chambe qui jouit déjà d’une petite célébrité écrit alors La bataille aérienne de Conflans. 14 septembre 1918. Ce récit de quelques pages est publié par la Revue des Deux Mondes (14 avril 1933) dont il devient à partir de là un assidu contributeur. Il lit d’ailleurs lui-même cette « histoire vraie » en direct au micro de la radio de la Tour Eiffel ! L’article, plébiscité par la critique tant par son style que par son contenu héroïque, est en fait partie intégrante de son livre Dans l’enfer du ciel qui parait la même année 1933 chez Baudinière. Ce livre marque le virage littéraire de son auteur. Le genre lui correspond mieux et il parvient à transmettre dans chacun de ses récits l’héroïsme, les sensations fortes, l’ivresse du vol, l’esprit d’aventure, le courage, le dévouement, le désintéressement… et surtout, il y a une volonté de stimuler le sentiment national face à une Allemagne de plus en plus ouvertement vindicative. Que ce soit dans l’aviation militaire ou dans l’aviation civile, René Chambe veut montrer aux Français de quelle trempe sont faits ces aviateurs et aviatrices. Il réitère avec succès l’année suivante 1934 avec Enlevez les cales ! alors qu’il publie aussi dans la Revue des Deux Mondes son article L’Armée de l’Air, garde du pays (15 août 1934). L’article est une forme avouée de « l’écriture utile » tandis que le livre revêt une forme plus plaisante. En 1935, il se permet un écart, se rappelant au bon souvenir de la Cavalerie qu’il a tant affectionnée en écrivant un autre grand succès : L’escadron de Gironde. Il devient sociétaire la même année de la Société des Gens de Lettres. Suivra enfin en 1937 Hélène Boucher, pilote de France. Avec ce livre, comme un dernier coup de boutoir, l’auteur lance encore à l’adresse des femmes – qu’il qualifie avec une tendre ironie d’ « ennemis des aviateurs et de l’aviation » – la preuve que non seulement, elles n’ont pas à avoir peur des avions, mais qu’elles ont parfaitement leur place dans l’aviation ! Dès 1938, il entame le grand projet de l’Histoire de l’aviation avec Flammarion qui doit d’abord être publiée sous forme de fascicules réguliers. La guerre et ses préparatifs viennent interrompre l’entreprise, de même que son manuscrit promis à Baudinière Les cuirassiers du Plémont qui ne sera en revanche jamais publié.


René Chambe - Dans l'enfer du ciel 1933

Illustration : Couverture du livre Dans l’enfer du ciel (Baudinière, 1933), premier livre de récits d’aviation historiques de René Chambe qui abandonne définitivement le genre romanesque.


La plupart des livres de cette période sont remarqués et récompensés par diverses institutions (La Société des gens de Lettres et l’Aéro-club de France déjà cités mais aussi l’Académie française) et marquent un beau début de carrière littéraire. René Chambe est ainsi reconnu comme l’un des grands écrivains de l’aviation et c’est bien ce qui fait sa célébrité d’alors au milieu des Pierre Weiss, Jacques Mortane, et bien sûr Joseph Kessel, ainsi qu’Henry Bordeaux et Antoine de Saint Exupéry qu’il aura l’occasion de connaître tous deux et de fréquenter.

Mais il est nécessaire d’observer cette période par le prisme de sa carrière militaire surtout à partir du moment où il est affecté comme chef d’Etat-Major à la 2e Division Aérienne de Paris (1929) puis auprès du général Denain, chef d’Etat-Major de l’Armée de l’Air (1933) puis ministre de l’Air (1934). Alors que l’Armée de l’Air en tant que telle est enfin créée (1934), il met sur pied le « Service des études historiques et géographiques de l’Air » qui lui est rattaché. Et enfin, il est nommé Directeur des Etudes de la toute nouvelle Ecole de l’Air, aux premières loges du recrutement de l’élite de l’Air. En réalité, il met tout son talent d’écrivain au service de la promotion de l’aviation, et toute son énergie créatrice pour battre en brèche les velléités pacifistes qu’il voit au mieux comme une belle et noble illusion, au pire comme une lâche et irresponsable conviction. C’était déjà le sujet de son roman Altitudes en 1932, et dans une certaine mesure celui de Sous le casque de cuir en 1928 dont la conclusion retentissante est un réquisitoire contre l’amnistie qui a épargné les criminels de la guerre de 14-18. La France est un berceau de l’aviation, la patrie du « panache militaire » et le terreau de grands héros. Il y a matière à prolonger l’imagerie dont il a été abreuvé enfant. Et c’est précisément à la jeunesse qu’il s’adresse durant toute cette période, pour convertir les âmes et les cœurs, mais aussi pour… recruter ! En décembre 1933, il participe justement comme conférencier au « Conférences de l’aviation du Petit Palais » dont il est lui-même l’organisateur avec le Ministère de l’Air. Ses activités littéraires témoignent aussi pendant les années 30 d’un réel intérêt pour le cinéma. Ce sont tantôt des intentions extérieures, à la suite de la publication d’un ouvrage, tantôt des initiatives personnelles. Seul Sous le casque de cuir a porté ses fruits et dans les semaines qui précèdent la déclaration de guerre de 1939, un projet sérieux d’adaptation de l’Escadron de Gironde est déjà sur les rails. Plusieurs écrivains dont Blaise Cendrars se proposent pour en écrire le scénario. Un autre projet, Faire face, mettait par exemple en scène l’Ecole de l’Air.

Au caractère utilitaire des romans de son père, destinés aux enfants, écrits pour instruire en [les] amusant, René Chambe fait écho par une volonté farouche de convertir les gens à cette aviation qui impressionnait mais qui effrayait encore beaucoup. Du promoteur infatigable à l’agent de propagande, il n’y a qu’un pas… Mais René Chambe, lui, fait vibrer ses cordes sensibles sans être à la botte d’un quelconque gouvernement. Ses cordes, c’est son pays tout autant que l’expérience sensationnelle du vol, le souci de se préparer à une nouvelle guerre qu’il voit inévitable contre l’Allemagne tout autant que de vanter les forces morales et de caractère des « casques de cuir« . Loin d’être un va-t’en guerre, il prépare ses lecteurs et ses auditoires à l’évidence d’un futur conflit, autrement moins désiré que celui de la Revanche. D’ailleurs, on a dit que Chambe a marqué de son empreinte la dernière partie du livre de son ami Henri de Kérillis « Français, voici la guerre ! » (Grasset, 1936). Quant à la Propagande, mais il n’y a pas de hasard, elle va le trouver à Alger en février 1943 lorsque le général Giraud le nomme ministre de l’Information du « Commandement en chef français civil et militaire »…


René Chambe - Gd Prix littéraire ACF 1936

Photo : René Chambe (debout à gauche) autour de la tablée de l’Aéro-Club de France et du jury qui décerna pour la première fois un « Grand Prix littéraire ». Ce 14 mars 1936, son livre « Enlevez les cales ! » (Baudinière, 1934) est primé. Le jury est composé notamment des écrivains Henry Bordeaux, Francis de Croisset, Claude Farrère, Pascal Bonetti, Gaston Rageot, Antoine de Saint Exupéry, Jérôme Tharaud, Paul Valéry, Pierre Weiss et le général Weygand. Sur la photo, de gauche à droite, assis à table : Mlle Deutsch de la Meurthe, M. Watteau (président de l’ACF), général Weygand, Laurent Eynac.


1939-1945 : la conscience de l’Histoire

Déjà durant la Première Guerre Mondiale, René Chambe note avec force détails ce qu’il vit et ce qu’il voit. Toutes ces notes nourrissent la construction de ses récits, souvenirs, biographies et roman (Sous le casque de cuir notamment) publiés durant l’entre-deux-guerres et à partir de 1945. La campagne des forces aériennes de la VIIe Armée en mai 1940 est l’objet de son livre Equipage dans la fournaise, 1940. Publié en 1945 par Flammarion avec René d’Uckermann, le livre a été écrit durant l’année 1941. Agacé par les accusations d’insuffisances de l’aviation, Chambe répond par l’accusation d’insuffisance des gouvernements des années 30 qui n’ont pas équipé l’armée à la hauteur de ce qui était nécessaire face à l’Allemagne. Mais il répond surtout par l’héroïsme des aviateurs qui ont donné sans compter, jusqu’aux sacrifices les plus cruels. Son article L’aviation et la jeunesse (Revue des Deux Mondes, 1er mai 1941) a été une forme de prélude à ce livre.

La suite de la guerre, c’est-à-dire la période de résistance, la période d’Alger et enfin la reprise des combats, est également la source de nombreuses réflexions qu’il développe une fois en retraite dans sa maison du Limousin. En réalité, dès la campagne d’Italie et de France, dans le vif de la bataille, il est entendu, en tant qu’écrivain reconnu, que son rôle est d’écrire officiellement l’Histoire telle qu’elle se déroule sous ses yeux. Et déjà, on a pu lire durant l’hiver 1940-1941 dans les colonnes du quotidien Paris-soir une série de reportages en Afrique du Nord signés de leur « envoyé spécial René Chambe ». Il honore ainsi la commande et remplit son rôle d’historiographe en publiant entre février et octobre 1946 dans la Revue d’information des Troupes françaises d’Occupation en Allemagne une série de sept longs articles sur la campagne d’Italie et d’Alsace.

Après 1946 : en quête de la vérité

A 57 ans, le général Chambe cesse d’être un officier d’active mais ne baisse pas la garde. Il s’assied à sa table d’écriture avec un objectif ferme : clamer la vérité, celle qu’il est en mesure de clamer, lui qui fut en première ligne. Il reprend également ses activités de conférencier et publie de nombreux articles. Souvent, il prépare ou double la publication d’un livre avec la publication d’un ou plusieurs articles dans la Revue des Deux Mondes. Et si certains livres sont discutés ici ou là, si des faits peuvent être parfois contestés et si des erreurs sont relevées, ils sont à prendre comme des actes de foi et de témoignage sincère, le recul de l’Histoire et le traitement de nouvelles archives ayant pu compléter l’analyse. Rendre hommage et faire honneur, ne pas oublier et… montrer aussi que de Gaulle n’est pas l’alpha et l’omega des victoires françaises… René Chambe, fidèle à ses objectifs de mémoire et de vérité fixés durant le conflit, n’épargne pas l’homme admirable de l’appel du 18 juin.

Battant le fer encore chaud, il évoque l’action du général de Lattre de Tassigny avec Le 2e Corps attaque. Campagne d’Alsace 1944-1945, toujours avec Flammarion, sa maison d’édition pendant près de vingt ans. Puis Chambe s’attèle à la campagne d’Italie et à son chef, le général Juin : L’épopée française d’Italie, 1944 (1952, préfacé par Juin lui-même) (republié en 1965 en format poche sous le titre La bataille du Garigliano, de Cassino à Rome), Le bataillon du Belvédère (1953), et enfin Le Maréchal Juin, duc du Garigliano (1968 aux Presses de la Cité). Si les deux premiers sont écrits et publiés du vivant de Juin alors qu’il vient d’être nommé Maréchal (par l’entremise justement de René Chambe et de son gendre Guy Jarrosson, député du Rhône), le troisième est publié juste après sa mort comme pour rendre une dernière fois justice à celui qui fut privé de ses droits et prérogatives par de Gaulle parce qu’il avait critiqué l’attitude de ce dernier en Algérie. Le dernier livre ayant pour sujet la 2e Guerre Mondiale est Au carrefour du destin. Pétain, Weygand, Giraud, de Gaulle. Publié cinq ans après la mort de De Gaulle (Editions France-Empire, 1975), il constitue un témoignage passionnant et un regard très critique sur ces quatre grands hommes qu’il a côtoyés ou rencontrés. Si on sait que la proximité temporelle dissuade René Chambe et les éditions Dessagne de publier L’histoire du Limousin pendant les deux guerres mondiales à cause de la partie très polémique sur la Résistance, on n’explique pas (pas encore…) pourquoi il renonce à publier son livre sur Giraud alors que le manuscrit semble prêt. Plus tard, dans Au carrefour du destin, il se limite à la période d’Alger et à ses préparatifs pour parler de son ancien chef à la VIIe Armée et à Alger.


René Chambe - c1970

Photo : René Chambe, c 1960. Studio G. Marant.


Peu de temps avant sa mort, René Chambe soumet encore un étonnant manuscrit à Claude Nielsen des Editions Plon qui le refuse poliment : Ce que je reproche à de Gaulle. Prétextant un souci de cohérence éditoriale, il avance que la maison vient de publier une biographie sur de Gaulle et qu’il ne peut publier juste après ce réquisitoire… Mais l’éditeur n’est-il pas échaudé par le dernier livre au succès très mesuré ?  En 1981, Route sans horizon demeure un échec pour l’éditeur et pour l’auteur. Le livre se vend bien en-deçà de leurs espérances. Cependant, il est l’un des plus touchants quant à sa vie personnelle et il revient sur la période mouvementée du front russo-roumain de 1916-1917 alors qu’il était jeune officier en mission en Roumanie. Il forme un diptyque original avec Sous le casque de cuir qui en est sa version romancée. Adieu cavalerie ! Bataille gagnée, victoire perdue. (1979), publié juste avant, est aussi un retour sur la guerre 14-18 mais dans ses premiers mois, où il est encore possible d’utiliser la cavalerie tant que le front n’est pas cristallisé en guerre de tranchées. Le livre reprend pour une grande part son passionnant journal de guerre et défend une thèse intéressante mais largement discutée dont le point central est « le raid de Sissonne ». Le qualifiant lui-même de « testament militaire », il nourrissait depuis longtemps ce projet de livre dont une première version était prête en 1959.

Chambe, un écrivain-aviateur à l’Académie française ?

L’écrivain de l’aviation que l’on a connu avant la guerre ne trahit pas sa réputation. Avec Flammarion, il reprend son Histoire de l’aviation. L’ouvrage est enfin publié en 1949 et vient compléter le catalogue de son éditeur avec l’Histoire de la Marine française (par Claude Farrère, 1934) et l’Histoire de l’armée française (par le général Weygand, 1938). L’édition originelle de 1949 (dont le récit s’arrête étonnamment en 1939 sans mise à jour) est suivie de cinq nouvelles éditions revues et augmentées jusqu’en 1987, « progrès » technologiques de guerre, innovations civiles et conquête spatiale obligent. Ce travail historique autant que littéraire est un vrai succès (environ 125 000 exemplaires) et devient un ouvrage de référence. Deux « peintres de l’Air » se partagent les illustrations en couleurs de l’Histoire de l’aviation pour Flammarion : Paul Lengellé et Albert Brenet. La même année 1949, René Chambe répond à l’appel des Editions Marcus pour écrire un texte sur Guynemer dans la collection Cœurs de France à l’adresse des jeunes lecteurs. L’artiste Géo Ham, autre « peintre de l’Air », réalise toutes les illustrations de l’album qui est proposé avec un disque pour écouter le texte dit par Jean de Faucon. Enfin, en 1955, Chambe propose son dernier livre d’aviation avec Au temps des carabines dans lequel il raconte pour la première fois son premier et victorieux combat aérien du 2 avril 1915 avec Pelletier-Doisy. Il ne s’est jamais mis en avant jusque-là. Il avait pourtant relaté en 1933 la victoire de ses camarades de « la 12 » Navarre et Robert du… 1er avril 1915 sans dire un mot sur la sienne (Dans l’enfer du ciel). Il explique en avant-propos la raison de ce livre : des suites d’une conversation avec son ami et camarade Pelletier-Doisy, ils constatent tous les deux que le temps des carabines à bord d’un avion est bien sûr révolu mais en passe d’être oublié. Le livre est précédé et suivi de plusieurs articles sur le même thème dans la Revue des Deux Mondes, occasions renouvelées d’évoquer la figure du commandant de Rose, créateur de l’aviation de chasse et celle du pilote Jean Navarre.


René Chambe - Histoire de l'aviation 1949 Flammarion

René Chambe - Guynemer ill Geo Ham Ed Marcus 1949

Illustrations : Jaquettes des livres Histoire de l’aviation (ici la première édition par Flammarion en 1949) et Guynemer proposé en livre disque dans une coédition Marcus / Decca (1949). Trois « peintres de l’air » illustrent ces deux livres, Albert Brenet et Paul Lengellé pour le premier, Géo Ham pour le second.


Dès 1945, des camarades et écrivains laissent entendre à René Chambe qu’il a sa place à l’Académie française et le poussent à se présenter. Pour une telle académie, une simple lettre de candidature ne suffit pas et comme toute élection, cela demande de faire une véritable campagne d’influence. La combativité de René Chambe n’est plus à prouver et il dépose par trois reprises sa candidature : en 1956 sur le fauteuil du baron Seillière, en 1966 sur le fauteuil de Daniel-Rops et en 1968 sur le fauteuil de son ami le maréchal Juin. Mais les trois candidatures se soldent par trois échecs. S’il s’est laissé semble-t-il abusé par l’intrigant Pierre Benoît en 1956, les deux autres candidatures ressemblent à une lutte politique plus ouverte entre droite conservatrice, droite gaulliste et gauche au sein de l’Académie. Mais n’a-t-il pas manqué, non seulement d’appuis francs, mais d’assez d’ambition et de vanité pour réussir tout à fait ? En vérité, l’exercice ici politique, ne lui convient guère (comme Giraud à Alger en un autre temps…). Merveilleux conteur et véritable gentleman d’un autre âge, il connaît son pouvoir de séduction, mais pour ce qui est de la manœuvre électorale – par nature un brin hypocrite et souvent sans scrupule – dans le petit cercle fermé de l’Académie, il ne remporte pas les suffrages même si la candidature de 1966 a échoué de peu. Il ravale sa déception et dit en sortir sans amertume et sans rancune. En 1979, il répond à Jacques Chancel (Radioscopie) que cet épisode ne lui procure plus de regrets, voyant l’Académie comme « un vieux débris » qui ne joue plus son rôle !

Retour aux sources : l’enfance et la nature

Sans doute René Chambe a-t-il surpris tout le monde avec la publication des Souvenirs de chasse pour Christian (Flammarion, 1963). En s’adressant ainsi à l’aîné de ses petits-enfants, et derrière lui tous les autres, l’écrivain se détourne des sujets militaires et politiques pour fouiller avec délectation et mélancolie sa vie lointaine. Bien plus qu’une malle aux souvenirs, c’est un testament, une ode à la vie et au bonheur qui dépasse de loin la seule question de la chasse que laisse supposer ce titre. Car il est bien question de son apprentissage de la chasse mais aussi de la vie, de la nature et du monde des adultes. Mais ce n’est rien d’autre qu’un traumatisme, celui de la perte de sa femme Suzanne en 1958 alors qu’elle avait 64 ans, qui l’a poussé dans ses retranchements les plus profonds. Il n’écrit rien d’autre que ce livre entre 1958 et 1963. Il fait de ce repli, de cette retraite intérieure une œuvre délicieuse, pleine d’enseignements et aussi d’humour. Il prolonge Souvenirs de chasse pour Christian par Le Cor de Monsieur de Boismorand (Presses de la Cité, 1971). A eux deux, ils forment un diptyque à la mémoire de Monbaly, le château de son enfance et tous ses habitants. Comme un ultime bouquet, il écrit et publie juste avant sa mort Les cerises de Monsieur Chaboud (Plon, 1983). Ses derniers instants sont donc consacrés à ses premières années, les seules qui, au fond, comptent. A ces trois titres, il convient d’ajouter ses Propos d’un vieux chasseur de coqs (Presses de la Cité, 1977 ) où, avec hauteur de vue et contemplation, se mêlent ses souvenirs et ses méditations sur la chasse à Champagny-en-Vanoise, sur la nature et sur la vie.


René Chambe - Avec Daniel Dordet Limousin Magasine 1962

Photo : René Chambe interviewé par Danielle Dordet pour Limousin Magasine en février 1962 (paru en mars) dans un salon du Repaire.


A partir de cette année 1963, René Chambe va ainsi du registre militaire au registre personnel. Les quatre livres sur l’enfance, la nature et la chasse – de son enfance et à l’âge adulte – possèdent un petit satellite caché dans Route sans horizon… Quelques pages de son récit sont consacrés à la mystérieuse Sandra, rencontrée en Roumanie en août 1917 et dont personne ne connaîtra jamais le vrai nom, et à la belle Suzanne qui deviendra sa femme, connue à Limoges en 1914. Il y a dans ces lignes une infinie mélancolie. Il manquait donc l’amour et René Chambe se livre sur le sujet à l’âge de… 92 ans ! Ce chevalier d’une autre époque, gentleman et vieux soldat, n’a en vérité jamais lâché la main de l’enfant qu’il fût, ni celle de son épouse, conservant sa soif de vivre malgré les désillusions, les déceptions et les épreuves que réserve le monde des adultes

> Avec la page « Géographie d’une vie« , plongez-vous dans notre carte interactive !

____

La vie, l’œuvre et les archives du général d’aviation et écrivain René Chambe (1889 – 1983).

https://generalrenechambe.com