Après Dans l’enfer du ciel et ses récits d’aviation militaire durant la guerre de 14-18, René Chambe s’intéresse à l’aviation civile. Mais ne s’agit-il pas tant de vanter les mérites, les progrès et la face cachée de l’aviation civile (et militaire) que de partir à la conquête du public civil et surtout de ses lecteurs ? Enlevez les cales ! est avant tout un livre d’aventures aéronautiques écrit pour conquérir la jeune génération et montrer la voie des airs avec quelques arrières pensées…
Trois éditions chez Baudinière en 1934 et 1947.
Six récits composent le livre avec de petites et grandes aventures depuis la toute fin des années vingt jusqu’à l’époque de l’écriture du livre. L’auteur avertit en préambule : il y aurait des centaines d’histoires comme celles-ci à raconter, son choix tient du fait du hasard, suivant son instinct. Ainsi, le pilote d’essais Bossoutrot de la maison Blériot partage l’affiche avec Sadi-Lecointe, son alter-ego chez Nieuport, le premier essaie l’hydravion Santos-Dumont, le second le Nieuport-canon. Pour l’un comme pour l’autre, – et en fait comme pour tous ceux qui sont à l’honneur dans ce livre – les choses ne se passent pas comme prévu… Mais ce sont leurs réflexes qui sont mis en avant, leur sang-froid, leur rapidité à la décision, leur audace ! Michel Détroyat opère un coup de force durant un entrainement pour un concours de voltige aérienne. Vraiment, on est à bord du Potez 34 avec lequel l’équipage Rossi – Le Brix tente un raid Paris-Saïgon en quatre jours, sérieusement compromis par les orages incessants ! Enfin, c’est au tour de Mermoz et de son mécanicien Collenot de nous embarquer dans les Andes pour une aventure improbable, passée désormais dans la mémoire collective. La dernière parade des airs est réservée à l’escadrille 2 de bombardement, passée maîtresse en matière de bombardement de nuit. Cet exercice aérien en temps de paix s’intitule « Ceux qui veillent » … Nous sommes en 1934, rappelons-le.
Mais encore…
A cette époque, René Chambe est « historiographe de l’armée de l’Air », c’est-à-dire chef du Service historique de l’armée de l’air dont il est le créateur sous l’impulsion du ministre de l’Air Victor Denain. Fin 1933, il a activement participé à l’ « Exposition des souvenirs de l’aviation française » au Petit Palais, en tant qu’organisateur, mais aussi en tant que conférencier (« Les casques de cuir« , 12 décembre 1933). Le 14 mars 1936, il reçoit pour ce livre le Grand Prix de l’Aéro-Club de France, le premier du genre, décerné par un jury fait d’aviateurs et d’écrivains parmi lesquels son cadet passé maître : Saint-Exupéry. 14 mars 1936… en pleine crise de l’Europe dangereusement échauffée par la militarisation hitlérienne de la Rhénanie survenue le 7 mars !
Mais ce livre est résolument un livre de propagande ! Il ne s’agit pas seulement de dire « n’ayez plus peur des avions ni de l’aviation » mais de dire « nos aviateurs sont excellents, à la pointe du progrès, possèdent toutes les qualités et, messieurs les Allemands, ne pensez pas à nous déclarer la guerre car nous nous préparons sans cesse, nous nous exerçons et maîtrisons les situations les plus difficiles. Notre aviation est à la hauteur. » Les premières histoires, bien que civiles, mentionnent ici ou là l’armée de l’air et la dernière, nous l’avons dit, concerne un exercice militaire de nuit. Relisons ce court passage dans le récit sur Sadi-Lecointe :
« On travaille en ce moment à plein rendement dans l’industrie aéronautique. Sous l’impulsion du général Denain, ministre, l’aviation s’active à combler son retard. Patience ! encore quelques mois et il sera comblé. Bientôt l’aviation militaire française pourra reprendre la première place dans le monde. » (p 46)
ou encore ici, sur Michel Détroyat :
« L’acrobatie est une pratique constante dans l’Armée de l’Air […] Nous n’en parlerons pas. L’Armée de l’Air travaille dans le silence. » (p 68)
Mais l’essentiel du message du livre réside dans ces lignes du dernier récit (exercice de bombardement de nuit ; le capitaine Copeaux est le chef d’escadrille) :
« Copeau retombe dans sa rêverie. Le tapis nocturne de la France en repos se déroule, tranquille, calme, dans une paix complète. Dans une paix complète ? Copeau a conscience de la bien servir, cette paix. Sans lui, sans ses équipages, sans ses avions, sans toutes ces escadrilles pareilles à la sienne qui tant de fois au cours de l’année prennent l’air nuit et jour, sillonnent le ciel, s’entrainent inlassablement, où donc serait-elle la paix ?
Eux, ils ne menacent personne. La France ne veut pas la guerre, ne voudra jamais la guerre. Mais elle ne veut pas, non plus, qu’on la lui fasse !
Ces avions géants, ces redoutables multiplaces de combat du dernier modèle, font partie de sa sauvegarde. Ils appartiennent à son aviation de défense et ne franchiront ses frontières que dans le cas où elle serait attaquée. Leur riposte serait alors terrible. Hormis ce cas, ils resteront chez eux, toujours.
Cela coûte cher d’entretenir une aviation militaire ? Cela coûte moins cher que ne coûterait une guerre. Hésite-t-on à prendre une assurance contre l’incendie ? Hésite-t-on à entretenir des gardiens de la paix dans les villes ? Il est des dépenses qui sont indispensables. Sans une aviation puissante, un pays ne serait qu’une proie sans défense, il vivrait dans de continuelles angoisses.
La France l’a compris. Elle veille. L’aviation veille. » (p 218)
Enlevez les cales ! ne fait que confirmer ce qu’écrivait Paul Bléry au sujet de Dans l’enfer du ciel. Ce livre a aussi été écrit « pour servir », dans tous les sens du terme. C’est un moyen pour René Chambe de servir son pays, et le livre lui-même a une utilité, un rôle de promotion et de publicité. C’est ainsi que nous entendons « propagande ». Comme pour s’expliquer tout à fait sur ces allusions, il publie la même année (15 août 1934) pour la Revue des Deux Mondes un article intitulé L’Armée de l’air, garde du pays, qu’il conclut par « L’Armée de l’air travaille« …
Extraits
Rossi et Le Brix en 1929 pour le raid Paris-Saïgon
« Rossi cabre au maximum pour sortir au plus vite de cette zone dangereuse, mais le Potez 34 n’en finit plus de monter.
L’aiguille de l’altimètre est à 3.200 et l’on n’y voit toujours rien ! Un brouillard livide, traversé de lueurs intermittentes de soufre, enserre étroitement la carlingue et colle aux hublots. Malgré le bruit du moteur, on peut entendre, de proche en proche, le grondement sinistre du tonnerre.
La nuit d’hier a été affreuse, celle-ci est épouvantable.
[…]
Oui, c’est bien l’orage nocturne dans toute sa sauvage grandeur ».
Mermoz et Collenot se sont écrasés dans une cuvette de la Cordillère
« A midi, tous les deux sont au travail.
Collenot, mécanicien de première classe, est Lyonnais, donc prévoyant et méthodique. Il avait heureusement emporté tout son outillage dans le coffre du Laté 25. Les doigts gourds de froid, les deux hommes se sont armés de pinces, de clés anglaises, de ciseaux, de bobines, de fil de laiton, de tout ce qui peut leur servir pour remettre en état l’avion, – s’il est possible de l’y remettre.
Ainsi va commencer une lutte acharnée, une lutte désespérée, une lutte pour la vie, que rien ne découragera, ne fera fléchir ni n’arrêtera. Et pourtant, s’ils savaient ce qui les attend !….
Mermoz a dit à Collenot, en tendant le bras vers le sommet de la pente sur laquelle s’est posé l’avion :
– Tu vois, Collenot, si jamais on peut remettre le zinc en état, on le montera à bras et en s’aidant du moteur jusque là-haut, à six cents mètres d’ici ; après, on lui fera faire demi-tour, on grimpera dedans et on le laissera dévaler sur la pente à toute allure, comme une auto. Il prendra peut-être assez de vitesse pour décoller.
– Et si on ne décolle pas ?
– Alors on ira se casser la gueule, là en face, contre la paroi, et ce sera fini, on n’en parlera plus.
– D’accord, a répondu Collenot. »
***
« Son allure se précipite. Les filets d’air sifflent dans les haubans, les roues tressautent avec de grands coups sourds sur les rochers. Des pierres volent. La clameur du moteur, lancé à plein régime, gronde comme une avalanche. Mermoz, par des déplacements rapides du palonnier, s’applique à corriger cette course infernale. La moindre erreur et ce serait l’écrasement ! La pente devient de plus en plus rapide. Bientôt elle s’abaissera sous un angle brutal et plongera dans le vide, Mermoz le sait, il a été à pied reconnaître l’endroit…
Et en face, tout près, plus mortelle encore que l’abîme, se dresse la paroi verticale contre laquelle le Laté 25 ira se broyer sans retour s’il ne parvient à virer avant d’être dessus. Virer d’ici là-bas, à peine décollé ? C’est presque une gageure !
Quelques mètres avant qu’il n’atteigne le rebord et ne culbute vers le fond, Mermoz réussit à arracher l’avion du sol. Il le sent flotter un instant, très lourd, mou, comme s’il allait s’enfoncer. En même temps, devant les yeux agrandis de l’équipage, la terrible paroi se précipite comme pour l’aplatir, tel un moustique contre un pare-brise.
Elle est presque sur eux, lorsque Mermoz, qui redoute la perte de vitesse, se décide, jouant le tout pour le tout, à renverser l’appareil sur l’aile gauche. »
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La vie, l’œuvre et les archives du général d’aviation et écrivain René Chambe (1889 -1983).
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