Souvenirs de chasse pour Christian (1963)

René Chambe entre véritablement avec cet ouvrage dans une littérature plus universelle. Il n’est plus question de récit historique et militaire, de témoignage ou de mémoire de guerre mais de souvenirs d’enfance. Plus encore que des souvenirs, René Chambe publie un recueil de contes où l’enchantement se mêle à la méditation, à l’humour et la philosophie simple d’un amoureux de la vie et de la nature. C’était avant « le coup de hache » pour reprendre ses mots, ce coup sanglant que fut la guerre de 1914-1918.


René Chambe - Souvenirs de chasse pour Christian Ed Flammarion 1963  René Chambe - Souvenirs de chasse pour Christian Ed Montbel 2012

1963, Flammarion
2012, Montbel
Prix « Fidélité au passé », 1970


Nous vous donnons à lire ce qu’a écrit André Billy dans le Figaro du 25 décembre 1963 (extraits). Billy était alors membre de l’Académie Goncourt :

« […] La meilleure Histoire de l’aviation est probablement celle du général René Chambe, auteur de divers autres ouvrages et mêmes de romans ayant rapport à l’aviation et aux aviateurs. On cite aussi de lui un certain Escadron de Gironde qu’on m’assure être remarquable. Avant d’être dans l’aviation, le général Chambe était cavalier. Aujourd’hui à la retraite, il publie ses souvenirs d’enfance qu’il a intitulé Souvenirs de chasses pour Christian (Christian est son petit-fils), avec ce simple nom en sous-titre : Monbaly.

[…] je me plais à respirer dans les histoires de chasse l’atmosphère des vieilles mœurs si bien évoquée par René Chambe. J’aime les histoires de chasse en littérature et sur les gravures anglaises. L’auteur des Souvenirs de chasse pour Christian (Flammarion) y montre une gentillesse et une bonne grâce dignes des contes d’Alphonse Daudet et de Pagnol.

*

                  J’aime aussi les histoires de châteaux et je ne puis en apercevoir un se dressant à flanc de coteau, avec son grand toit et son fronton – je ne demande pas de tours, de créneaux ni de mâchicoulis – sans essayer de me représenter quelle y serait ma vie, entre une bibliothèque et une cave dignes l’une de l’autre. Fantaisies de l’esprit contre lesquels je m’efforce de réagir pour me consoler de ne pas être châtelain. Ces vieilles demeures, si plaisantes à contempler de loin, je les imagine, réflexion faite, suintantes d’humidité et pleines de courants d’air. Elles sont charmantes dans les livres et, par exemple, dans celui de René Chambe où je vous recommande entre autres le chapitre du Grand Grenier, modèle et chef d’œuvre du genre. Autre chef d’œuvre, le chapitre suivant : Les Dames blanches de la tour ronde. Ces dames blanches, ce sont les chouettes et les hiboux, grands-ducs, petits-ducs, hulottes, chevêches, strix, effraies. René Chambe prend contre la superstition et la peur des ignorants la défense des oiseaux de nuit et il le fait avec toute l’autorité d’un naturaliste et la conviction chaleureuse d’un poète.

                  Mais ce que je préfère peut-être dans ces Souvenirs de chasse ce sont les portraits de chasseurs, ceux de Jean Delange, de son frère Hippolyte, de Nivert, de Muriset, de Marquette. L’histoire de Marquette mériterait à elle seule un prix de l’Académie que Maurice Genevoix se ferait certainement un plaisir d’obtenir pour elle. Marquette est un frère de Raboliot et ce n’est pas là un mince éloge. Le père David aussi et ses becfigues sont appelés à rester sous une forme ou sous une autre, dans les recueils de morceaux choisis.

                  Passés soixante-dix ans, un général d’aviation prend place dans la littérature de la nature et au premier rang. C’est un petit événement que je suis heureux d’enregistrer et qui, je l’espère, aura des suites. »

Mais encore…

Nous ne relèverons pas ici les aspects remarquables de son enfance, le catalogue serait trop important. Et d’ailleurs, les sujets de l’enfance et de la chasse font l’objet d’une section dédiée dans ce site : « L’homme » et tous les articles qui y sont (et seront) consacrés. Ce qui est dit ici sera d’ailleurs repris et reformulé dans la section citée. On aura mis des extraits ci-dessous mais nous vient à l’esprit ce chapitre où il raconte la journée de ses neufs ans passée caché dans un arbre du parc. A-t-il lu Le Baron perché ? Rien n’est moins sûr. Mais l’anecdote a force de symbole.

L’adulte accompli qu’il fut, volontaire, optimiste, combatif, toujours sur la brèche, du pilote de chasse de 1915 au chef de cabinet du général Giraud à Alger, du soldat à l’écrivain, de l’époux au père de trois filles, cet adulte, disons-nous, a son pendant dans l’enfance. Comme un grand arbre, avec sous houppier et ses racines, il y a autant de hauteur et d’amplitude au personnage qu’il y a de profondeur et de ramifications invisibles. Cette profondeur, c’est celle de son enfance dans laquelle il puise tout ce qu’il peut y puiser pour traverser ses épreuves d’adulte. Beau paradoxe. Avec Souvenirs de chasse, René Chambe nous ouvre une porte merveilleuse sur ce monde invisible. Pourquoi dire cela ? Les premières pages sont marquées en effet d’une grande mélancolie. En juin 1958, Suzanne, sa femme et complice, meurt brutalement à l’âge de 64 ans. L’homme se trouve face à la mort plus sûrement encore que lors de ses combats rapprochés avec l’ennemi. Il se livre comme il ne s’est jamais livré par écrit et montre de lui ce qui l’a construit, ce qui le constitue, ce qui est sa matière première, « sa substantifique moëlle ».

As-tu seulement remarqué, Christian, combien est beau le feuillage d’un chêne lorsqu’il est rebroussé par le vent ? […] Moi non plus, durant toute mon existence je ne l’avais pas remarqué, je n’en avais pas eu le temps. A présent, je le remarque, je prends le temps de la remarquer, en songeant que l’heure se rapproche où, toutes ces splendeurs, je ne les verrai plus. (p 12)

C’est une forme de testament moral, un enseignement philosophique à l’adresse de ses petits-enfants dont Christian, 23 ans, l’aîné qui est de retour de service en Algérie. Plus éloquent encore, c’est le premier livre publié après la mort de Suzanne, soit cinq années après. Il suit Au temps des carabines édité en 1955. Rien de 1955 à 1963. Huit années jalonnées cependant par une réédition de L’Escadron de Gironde et une édition revue et augmentée de l’Histoire de l’aviation, les deux chez Flammarion en 1958. A n’en pas douter, René Chambe devait observer cette retraite dans le monde de son enfance pour accepter de poursuivre sa vie d’homme et d’écrivain. Souvenirs de chasse pour Christian aura une suite en 1971 avec la publication du Cor de Monsieur de Boismorand (Presses de la Cité). Les cerises de Monsieur Chaboud (Plon, 1983) viendra conclure juste avant la mort de l’auteur ces souvenirs.

Extraits

«                   Nos parents regardaient parfois, avec nous, passer les trains et répondaient aux questions dont nous les accablions, surtout mon frère, bien plus passionné que moi pour tout ce qui touchait à la science et à la mécanique. Notre père avait étalonné les distance et pris des repères précis sur la voie, sur une ligne droite de deux kilomètres, afin de calculer les vitesses. Sa montre dans la main gauche, il comptait les secondes avec le sérieux d’un chronométreur officiel, puis il abaissait le bras d’un geste sec :                 

– Là ! Celui-ci a mis exactement deux minutes et quarante secondes, c’est magnifique !
Armé de son crayon, il faisait rapidement ses calculs et se redressait, admiratif :
– Eh bien, il a frisé le cinquante à l’heure. En tout cas, il a passé le quarante-neuf cinq cents.
Et il ajoutait sentencieusement :
– On voit bien que c’était un express.

                  Alors notre mère, notre chère maman, si douce et si craintive, crispait ses mains dans un geste de supplication douloureuse :
– Mais c’est de la folie, de pareilles vitesses ! Les hommes deviennent fous ! Il va surement y avoir des accidents ! Il faut arrêter ça ! Il faudrait écrire au gouvernement pour qu’il le défende !

Elle était mince et fragile comme un roseau, on aurait pu, disait-on, prendre sa taille entre les deux mains, en se joignant les doigts. Elle était très blonde et portait, comme y sont à raison revenues les jeunes filles et les jeunes femmes d’aujourd’hui, un long chignon, serré en hautes torsade depuis la nuque jusqu’au sommet de la tête. Rien n’accroche mieux les reflets de la lumière,, rien n’est plus joli, ni plus seyant, ni plus jeune. Sarah Bernhardt l’avait bien compris, qui se coiffa ainsi durant toute la vie.
Mais mon frère bondissait, exultant :
– Cinquante à l’heure, il a fait cinquante à l’heure ! »

***

« Les deux oiseaux (ration pour une grande personne) sont toujours là. Rassurés, ils commencent à se détendre, à marcher, à picorer. Ma présence ne paraît guère les inquiéter. Voici qu’ils me tournent le dos. C’est l’instant ou jamais ! Reste à côté de moi, Christian, tu vas voir !

                  Rampant tel un Peau-Rouge, sous les feuillages, tenant mon arme bien serrée dans la main droite, le poing fermé, je ne suis plus qu’à deux pas du premier. Il ne m’a pas vu. La performance est déjà sensationnelle. D’un geste, que je voudrais sûr, mais que l’émotion fait trembler (non, Christian, ce n’est pas ce que tu crois, il ne s’agit pas du geste d’appuyer sur la détente, je n’ai pas de fusil, c’est beaucoup plus simple et tout aussi efficace) je lui lance une poignée de gros sel. Tu entends bien, de gros sel, c’est ça l’arme secrète, la méthode infaillible, la première que j’ai employée à la chasse.

                  Touché ! J’ai vu nettement les grains arriver sur le dos et sur la queue du rouge-gorge, la queue, ce talon d’Achille des oiseaux ! »

***

« Les spécialistes qualifiaient la charpente des toits de Monbaly de chef-d’œuvre.

                  Si nos esprits d’enfants n’étaient en aucune manière sensibles à ces considérations d’ordre architectural, ils l’étaient bien davantage sur certains points qui échappaient à l’entendement des personnes cependant déclarées sérieuses. C’était même chez elles une lacune évidente, car nous savions, nous, enregistrer avec une perception aigüe, avec une sensibilité touchant à la volupté, le caractère émouvant et romantique de ces lieux. Ce qui frappait dès l’abord, c’était l’odeur insolite, sauvage, vous prenant à la gorge et faisant naître en vous une inquiétude vague, une sorte d’avertissement que là prenait fin le domaine des hommes, pour faire place à celui des bêtes libres, refusant tout compromis, tout pacte, toute servitude humaine. Dès le seuil, on avait l’impression de s’aventurer en terre étrangère, de pénétrer dans une contrée réservée, secrète, hostile.

                  A dire vrai, les grandes personnes n’y venaient presque jamais. Elles n’avaient d’ailleurs rien à y faire, sinon pour la surveillance, assez rare, des tuiles et des gouttières. Une fois pour toutes, un trait avait été tiré sur ce Grand Grenier abandonné aux maléfiques puissances et aux enfants désobéissants.

                  Mon frère et moi, nous nous y rendions très souvent. C’était chez nous l’objet d’une passion contre laquelle nous étions incapables de réagir. »

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La vie, l’œuvre et les archives du général d’aviation et écrivain René Chambe (1889 -1983).

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