Quelques souvenirs sur Hélène Boucher
Texte prononcé le 30 novembre 1979 lors de l’inauguration d’une exposition sur l’aviatrice au collège et lycée Hélène Boucher de Paris (cours de Vincennes, 20e). René Chambe, biographe d’Hélène Boucher (« Hélène Boucher, pilote de France », Baudinière, 1937), et étant empêché, c’est l’Inspecteur général de l’Instruction publique, Jean Pénard, qui lut le texte.
René Chambe évoque deux choses : la question de l’Idéal – centrale ici – et la relation entre Hélène Boucher et Jean Huber sur la foi du témoignage de Dolly van Dongen. Cependant, les membres des Amis d’Yermenonville n’ont jamais eu confirmation de cette relation par la famille de Léno, ni par son frère notamment. Ce point mérite d’être précisé afin de garder la distance et la prudence nécessaires sur cette question.
La définition romaine Anima sana in corpore sano, une âme saine dans un corps sain, s’appliquait très exactement à Hélène Boucher.
Qui la voyait pour la première fois était immédiatement séduit, frappé par la sorte de rayonnement, de lumière, qui émanait de toute sa personne. Elle était d’une grande beauté, d’une beauté ferme, sans artifice ni mièvrerie. Elle faisait songer à la Diane de Gabies, du Musée du Louvre, rajustant sa chlamyde de chasse, au milieu de ses chiens. Elle en avait toute la grâce et l’instinctive noblesse d’attitude.
Le regard de ses yeux bleus reflétait à la fois ses deux qualités dominantes, la franchise, la clarté de l’enthousiasme et de l’idéal qui l’animait, mais en même temps que la limpidité de son âme, la volonté, la détermination rapide, la ténacité, l’indomptable énergie de son caractère, qu’aucun obstacle ne parvenait à abattre. Ce regard couleur d’aigue-marine faisait baisser les yeux à son interlocuteur le plus haut placé, amené malgré lui à la considération, au respect. On comprenait qu’on parlait à quelqu’un sortant de l’ordinaire, qu’on avait affaire à un être supérieur.

* * *
Pourquoi Hélène Boucher était-elle venue à l’aviation ? Qu’y cherchait-elle ? On touche là au secret le plus intime de sa vie. De son vivant, personne ne se fût permis de lui poser la moindre question à ce sujet. On pressentait un mystère personnel. Ceux qui savaient se taisaient. Les autres aussi…
J’ai bien connu Hélène Boucher. Attaché au cabinet militaire du général Denain, alors ministre de l’Air, j’ai été, durant plusieurs années, chargé de tout ce qui concernait les rapports d’Hélène Boucher avec le Ministère de l’Air, en particulier le prêt de certains de ses avions, son entraînement au pilotage des plus difficiles, ses performances (certaines éblouissantes et historiques), ses voyages lointains, tel celui de Bagdad[1].
Ainsi, j’ai eu l’occasion d’avoir bien des conversations avec elle et ses proches, dont Dolly van Dongen, fille du peintre célèbre. Dolly avait fait ses études avec Hélène, puis était restée sa meilleure amie, sa confidente. J’étais aussi allé maintes fois voir Hélène chez elle, au milieu de sa famille, au n° 169 de la rue de Rennes, tout contre la gare Montparnasse, pour avoir avec elle des entretiens de service.
C’est par Dolly van Dongen que j’ai eu connaissance de l’évènement qui a bouleversé la vie d’Hélène Boucher[2].
Bien des années ont passé, Hélène n’est plus de ce monde, il n’y a donc plus aucune indiscrétion à révéler le drame qu’elle a vécu d’autant plus qu’il ne fait qu’ajouter à l’admiration qu’on doit avoir pour elle. Je n’ai pas l’intention de vous retracer toute la vie d’Hélène Boucher, nous n’en avons pas le temps.
Sachez seulement qu’elle était virtuellement fiancée à un jeune officier de l’aviation militaire, lorsque celui se tua accidentellement à l’Ecole de Pilotage d’Istres. Il fut carbonisé dans son avion en flammes. Il se nommait Jean Huber[3]. Il avait dit à Hélène le jour de leurs fiançailles :
– Nous faisons un métier qui comporte des risques. Je sais que cela ne vous fera pas reculer. Et puis, qu’importe, chez nous, lorsqu’un pilote tombe, un autre prend sa place !
Ils avaient ri ensemble. Un mois plus tard se produisait le terrible et fatal accident. Dolly van Dongen nous a fait connaître les circonstances dans lesquelles Hélène a appris la mort du lieutenant[4] Jean Huber par un télégramme de son frère Georges Huber, enseigne de vaisseau. Hélène était très éprise de son fiancé, qu’elle admirait.
– C’est atroce et injuste ! s’était-elle écriée.
L’heure d’après, elles étaient entrées à l’église St Germain-des-Prés, où les familles Boucher et Huber avaient l’habitude de se rencontrer à l’office du Dimanche. Hélène avait allumé un cierge, puis s’était agenouillée, en sanglotant.
Ensuite, dans la rue, Hélène dit à Dolly van Dongen, stupéfaite :
– Dans l’aviation, quand un pilote tombe, un autre le remplace. Jean Huber est tombé, je prends sa place. J’entre dans l’aviation et j’y serai pilote. C’EST DECIDÉ.
C’est de ce jour de l’année 1930 qu’Hélène Boucher entre dans l’Histoire. Elle avait alors 22 ans. Nous savons, nous, qu’il lui restait quatre ans à vivre.
Très sportive, elle était habile en tout. Excellente raquette, connue sur les courts de tennis, elle aurait pu aller loin dans la compétition. Elle n’avait peur de rien, ni de la motocyclette, ni du cheval, ni des obstacles. Dieu savait s’il y en avait pour pénétrer dans ce milieu de l’aviation, alors très fermé. Hélène Boucher avait triomphé de tous.
Les appuis dans le monde sportif ne lui avaient pas manqué, même dans l’aviation, qu’elle ignorait cependant complètement.
Baptême de l’air le 4 juillet 1930, avec Le Folcalvez à Orly. Première leçon de pilotage le 20 mars 1931. Dix mois de démarches et de dépenses ! Mais à présent elle va brûler les étapes : 15 juin, premier lâcher seule ; 21 juin brevetée pilote ; décembre 1931, achat de son premier avion ; juin 1932, cent heures de vol, brevet de transport public, droit d’emmener des passagers.
Mais brûlons à notre tour les étapes : Hélène est devenue la reine de l’acrobatie aérienne (élève de Détroyat). 1933, elle est de tous les meetings, de toutes les exhibitions. Ses passages en vol, la tête en bas, au ras du sol, devant les tribunes, arrachent des clameurs, des hurlements d’enthousiasme à la foule dont elle est devenue l’idole. Le nom d’Hélène Boucher est célèbre dans le monde entier.
11 août 1934, la grande victoire, la victoire immense sur son Caudron-Rafale bleu d’acier, qui le fait ressembler à un squale, à un requin, Hélène Boucher enlève le record officiel de vitesse pure, avec 445,086 kilomètres à l’heure, vitesse fantastique pour l’époque. Personne n’a encore volé à pareille vitesse, ni hommes, ni femmes. Aucun pilote. Elle bat tout le monde. Le trophée le plus envié dans le monde entier, elle le donne à la France ! Autour d’elle s’élèvent des cris « Vive la France ! »
C’est sa joie : Hélène est patriote et (comme elle le dit) « terriblement française ». La performance a eu lieu sur la Base d’Istres. C’est là que Jean Huber a péri, carbonisé dans son avion, il y a quatre ans. A travers ses larmes de fierté, Hélène pense certainement à lui … Le pilote Jean Huber est tombé, Hélène Boucher l’a remplacé.
* * *
Et maintenant je me tourne vers vous, je m’adresse à vous, jeunes garçons et jeunes filles ici présents, et par delà les murs de ce lycée, à toute la jeunesse de France.
Je vous apporte le message d’Hélène Boucher.
Un jour nous parlions de l’idéal. Nous étions plusieurs. Hélène Boucher a dit :
– L’idéal, il y en a partout, ça se trouve partout. Mais il est nécessaire de se hausser un peu au-dessus de soi-même, sur la pointe des pieds, pour le découvrir. Alors quand on en a choisi un, on le plante devant soi comme un drapeau et on marche droit dessus, sans tourner la tête. Et puis, si l’on n’en trouve pas, ça se fabrique, ça s’invente, l’idéal, ça se porte en soi. A moins d’être un rien du tout, chacun a un idéal au fond de soi la fierté de soi-même, de ce qu’on fait, de son travail. Mais il faut constamment se dépasser, se surpasser. C’est le secret. Moi, j’ai choisi l’aviation comme idéal. Il y en a beaucoup d’autres. On n’est pas obligé de me suivre. C’est très dur.
Un autre jour, elle a dit à Dolly van Dongen :
– Je n’ai pas peur de me tuer en avion. J’y passerai comme les autres. Je prends trop de risques … Si je ne me tue pas, alors je tâcherai de faire une sainte …
* * *
Pilote de grande classe qui a conquis en peu de temps les records les plus enviés, grâce à son habileté et à son audace réfléchie. A donné sa vie pour l’aviation. Personnifie la jeune fille française : modestie, simplicité, vaillance.[5]
Ce 30 novembre 1934, à 7 h du soir, nous sommes quatre réunis dans le bureau du général Denain, ministre de l’Air : le ministre ; le général Davet, chef du cabinet militaire ; René Giscard d’Estaing, chef du cabinet civil (c’est l’oncle du futur Président de la République) ; et moi-même.
Hélène Boucher vient de se tuer à bord de son Caudron-Rafale, celui-là même avec lequel elle avait remporté, à Istres, sa victoire du 11 août. J’ai été chargé de rédiger le texte de la citation de la Légion d’Honneur (cf note 5) que le général va immédiatement remettre à Hélène Boucher, à Versailles, où elle a été transportée.
Le général Denain avait jugé mon texte trop long j’énumérais toutes les qualités d’Hélène : franchise, gaieté, pureté, générosité, désintéressement.
Hélène Boucher avait trop de qualités. Il fallait couper, ne garder que l’essentiel. Mon chef avait raison, le texte devenait bien meilleur. Le général Denain, s’étant levé, l’avait lu alors à haute voix. Aucun de nous n’avait pu retenir ses larmes. Dans un instant, la France entière allait en faire autant
Général Chambe
[1] On s’étonne un peu de certaines de ces affirmations de durée que Chambe écrit à l’âge de 90 ans, pour l’excuser peut-être de quelques approximations ! Victor Denain étant ministre de l’Air entre février 1934 et janvier 1936. Denain fut auparavant Chef d’état-major de l’Armée de l’Air (à sa création) entre mars 1933 et février 1934, et René Chambe fit en effet partie de ses proches collaborateurs à l’état-major comme au ministère. Au ministère, il n’aurait donc eu l’occasion de s’occuper d’Hélène Boucher que durant quelques mois entre février et novembre 1934, l’année de tous les records avec Caudron-Renault. Auparavant, c’était le ministre Pierre Cot et son précieux chef de cabinet René Corbin qui suivirent et soutinrent l’aviatrice.
Par ailleurs, les notes prises par Chambe en 1936 lors des préparatifs de son livre indiquent justement le contraire. D’après son amie Dolly van Dongen, le Ministère de l’Air a été très avare de soutien pour Hélène Boucher, à l’exception précisément de René Corbin. On peut croire en revanche que Chambe fut un fervent soutien de Boucher tant qu’il fut présent au Ministère, à tel point que Denain, au soir du drame du 30 novembre, demanda à Chambe de rédiger le texte de citation à l’ordre de la Nation publié le 2 décembre 1934.
[2] Il est probable que Chambe mêle les rencontres avant novembre 1934 et celles de 1936 pour la préparation de son livre.
[3] Chambe écrit à tort le nom Hubert avec un T, ce qui apportera de la confusion avec un autre aviateur et constructeur Jean Hubert, mort en 1927. On corrige ici l’orthographe. Jean Huber était sergent et, bien que basé à Istres, il tomba dans l’Héraut le 1er août 1930 avec le mécanicien Gustave Audouy. Source : « La stèle des aviateurs », Jean Fouët, 2014
[4] Jean Huber est plus exactement sergent-pilote instructeur (source : Jean Fouët).
[5] Le texte n’est pas celui de la Légion d’Honneur (décret du 4 décembre) mais il est celui de la Citation à l’ordre de la Nation, émanant du Ministère de l’Air pour le compte du gouvernement (J.O. du 2 décembre 1934) rédigé ainsi :
Pilote aviatrice, personnifie la jeune fille française : modestie, simplicité, vaillance. Pilote de grande classe qui a conquis en peu de temps les records les plus enviés, grâce à son habileté et à son audace réfléchie. A donné sa vie pour l’aviation.
> Retour vers la page L’œuvre littéraire.
____
La vie, l’œuvre et les archives du général d’aviation et écrivain René Chambe (1889 -1983).
Vous devez être connecté pour poster un commentaire.