C’est dans la Seine !

Une histoire de trophées de 14-18 qui finissent à l’eau en 1943…

Page 147 de Au temps des carabines (Flammarion, 1955), on peut lire :

« A quelques mètres, l’Albatros est devenu la proie des flammes. Les deux fantassins ont réussi à se hisser pour quelques secondes dans l’habitacle du passager. Ils sont parvenus à en extraire plusieurs objets précieux : un porte-cartes, une boussole montée à la Cardan, un altimètre de bord… et une mitrailleuse, la mitrailleuse qui nous tiré dessus et que je conserverai longtemps en souvenir, ainsi qu’une des roues entoilées de l’Albatros, avec la grande croix-de-fer, épargnée par l’incendie. Pelletier-Doisy gardera pour sa part l’hélice intacte. » (photo ci-dessous, Chambe et Pelletier-Doisy le 2 avril 1915 devant l’Albatros calciné, la roue entoilée et l’hélice…)

B03a_10Que je conserverai longtemps… On trouve une explication dans une coupure de journal (« Nos chasses », avril 1980) :
Intertitre : « La bévue de la radio d’Alger »
Plus loin :
«  – Quels fusils avez-vous possédé ?
– Celui qui m’a le plus servi est un Krupp, acheté à un sergent d’infanterie qui l’avait trouvé dans une tranchée allemande. Je lui avais donné 20 F. J’avais fait graver sur la crosse : « Pris au bois de Sapigneul, Marne, 1916 ».
[…]
J’ai beaucoup utilisé cette arme qui est aujourd’hui dans la Seine.
– Pour quelle raison a-t-elle si mal fini ?
– Vous vous souvenez probablement qu’en 1942, le général Giraud s’est évadé d’Allemagne, où il était prisonnier. Il s’est caché quelques temps chez moi et je l’ai aidé à rejoindre l’Algérie, où il est arrivé peu après le débarquement américain. Je suis parvenu à le rejoindre et il m’a nommé ministre de l’Information dans le gouvernement provisoire qu’il a formé. Or, la radio d’Alger a, très stupidement, annoncé en clair cette nomination. Heureusement, mon beau-frère a réagi plus vite que les Allemands à cette annonce et il a enlevé immédiatement de mon appartement parisien ce qui devait disparaître, avant la perquisition qui n’a pas manqué d’avoir lieu. Parmi ces objets il y avait, entre autres, mes trophées de guerre aérienne et le fusil. Il l’a jeté dans la Seine, où je suppose qu’il est encore ».

La fille aînée du général Chambe parlait encore récemment de ce beau-frère ! « Eh oui ! C’est idiot, il a eu peur de garder toutes ces affaires chez lui pour les cacher et les lui rendre ensuite. Il y avait aussi une malle remplie de documents. Dans la Seine… c’est trop bête ! ».

Cependant, en mai 1968, le colonel Rougevin-Baville, conservateur du Musée de l’Air, signe un courrier adressé à Chambe :

«     Mon général,
    Je suis heureux de vous annoncer que les collections du Musée de l’Air viennent de s’enrichir de deux pièces qui vous concernent : il s’agit de deux morceaux du gouvernail de profondeur et du gouvernail de direction de l’Albatros que vous avez abattu le 2 avril 1915 à Vaudemange avec Pelletier-Doisy.
    Ces pièces étaient détenues par un vigneron voisin, Monsieur Marius Chance, ancien aviateur lui-même, chez qui je suis allé les chercher récemment. Il y a toutes raisons de croire à leur authenticité. »

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La vie, l’œuvre et les archives du général d’aviation et écrivain René Chambe (1889 – 1983).

https://generalrenechambe.com