Impressions d’acrobatie aérienne par Hélène Boucher (1933)

Tous les ans entre 1909 et 1951, le Grand Palais à Paris accueillait le Salon de l’aviation. En 1933, cette manifestation s’est accompagnée d’un cycle de conférences et de « souvenirs et récits contés » au Petit Palais juste en face de la « volière ». René Chambe, bientôt biographe en 1937 d’Helène Boucher, donnait cette année une conférence intitulée « Les casques de cuir » (12 décembre, avec le même soir René Fonck et Michel Détroyat). Chaque soirée avait son fascicule vendu 2 fr. au profit des œuvres sociales du Ministère de l’Air. Voici le texte de l’intervention d’Hélène Boucher :

Introduction pour la publication de l’ouvrage (1935) reprenant la totalité des interventions : Brevetée pilote de tourisme en juin 1931 et brevetée pilote de transports publics en juin 1932, Mlle Hélène Boucher a ramené en France de nombreux records. Elle a battu, lors de la deuxième course « Les Douze Heures d’Angers », en juillet 1934, les records internationaux de vitesse pour avions légers, sur 1.000 kilomètres, avec une moyenne de 250 km 086. Le 8 août 1934, elle battait, sur Caudron-Renault, le record international de vitesse toutes catégories, sur 1.000 kilomètres, avec 409 km 184 de moyenne, le record féminin international, sur 100 kilomètres, avec 412 km 371, et le record féminin international sur base, avec 445 km 028. Mlle Hélène Boucher a pris part à de nombreux meetings, où elle a fait des démonstrations de haute-école aérienne.


Portrait dédicacé de Michel Détroyat à René Chambe, probablement après la parution d’Enlevez les cales ! : « Je n’aime pas la lecture mais vous me l’avez faite comprendre quand vous parlez de nous dans vos livres si passionnants. » Collection René Chambe.

Brevetée à l’Aéro-Club des Landes depuis deux ans, confiante en mes premiers vols, j’avais décidé, au début de l’année 1933, d’entreprendre seule un voyage vers l’Orient. J’avais la foi que possèdent tous les jeunes ; mes aptitudes physiques me permettaient tous les espoirs, je n’avais pas prévu la défaillance du matériel.

Après plusieurs pannes, je réussis à atteindre Bagdad où je restai immobilisée six semaines. Enfin, je rentrai en France par l’Egypte et l’Afrique du Nord, en touriste.

Malgré toutes les difficultés rencontrées, j’ai conservé de ce voyage un souvenir magnifique et une envie folle de repartir le plus tôt possible pour ces bleds.

Bref, je participe à la course des 12 heures d’Angers, ma première compétition aéronautique, et qui m’a passionnée, d’autant plus qu’il s’agissait de tirer le maximum d’un avion à faible puissance. Puis, j’établis un petit record féminin d’altitude pour avion léger. Enfin, avec mon entraînement à l’acrobatie, voici de ma courte carrière de pilote la période que j’ai vécue avec le plus d’intensité.

Sous la direction de Michel Détroyat, je m’entraînais pendant quatre semaines pour faire devant le public ma première exhibition à l’occasion du match Fieseler-Détroyat.

Depuis longtemps je désirais suivre les traces d’Adrienne Bolland qui était la seule pilote française exécutant des vols acrobatiques. Que de fois j’avais admiré le grand as Michel Détroyat ! Les tonneaux, les vrilles, les renversements avaient pour moi un irrésistible attrait.

Mon désir fut enfin exaucé et je passais si je puis dire, mon examen devant le Maître. Vous avouerai-je mon angoisse, en montant dans le Morane 230. Ah ! j’aurais voulu que ce vol se prolongeât pour retarder l’atterrissage, moment fatidique où le moniteur devait m’encourager ou me décourager. Certes je pensais beaucoup plus au résultat du fameux essai, à ma cruelle déception s’il était mauvais, qu’aux figures d’acrobaties elles-mêmes.

J’étais « reçue » et inscrite chez Morane pour un brevet d’acrobatie. Vous devinez ma joie ?

Les vraies leçons commencent et avec elles les alternatives d’enthousiasme et de découragement.

La vrille d’abord qu’il faut, coûte que coûte, redresser dans l’axe. L’axe, toujours l’axe. On prend un point de repère : la Tour Eiffel ou les hangars d’Orly, et, quand au bout de deux ou trois tours de vrille on veut le retrouver, on s’aperçoit trop tard qu’on l’a dépassé ; on recommence, on fait le contraire, et on arrête sa vrille trop tôt.

Les tonneaux rapides ! Vous retrouvez de temps en temps l’horizon en face de vous un peu de travers. Avec de la persévérance on arrive à faire des figures correctes.

Après quelques leçons, les organisateurs du match Fieseler-Détroyat me jugèrent digne de figurer au programme.

J’avais dès lors un but précis, si proche qu’il m’effrayait un peu et les jours passèrent avec une rapidité déconcertante. Tantôt tout allait bien, le moniteur était content, tantôt la fatigue prenait le dessus et la crainte de ne pas réussir m’obsédait.

Détroyat m’entraînait à voler la tête en bas, car jusque-là je n’avais pas commencé la haute-école. La tête en bas, au début, c’est désagréable, mais on s’y fait très vite. Voici le grand jour, malgré tous les froids raisonnements, il est bien difficile d’éviter le « trac » et cependant aussitôt que le moteur tourne, le sang-froid revient avec tout ce que l’on a appris. La volonté de faire le mieux possible, le souvenir de l’effort soutenu sont alors de précieux adjuvants…

A l’atterrissage, j’ignorais si mon moniteur serait satisfait mais je savais que grâce à lui, ce jour-là restait pour moi un des plus beaux souvenirs de ma carrière de pilote.


Récit publié dans :
LES GRANDES CONFÉRENCES DE L’AVIATION AU PETIT PALAIS
SOUVENIRS ET RÉCITS contés le 28 novembre 1933

M. LÉON BATHIAT – Ma tentative pour la Coupe Pommery, en août 1912
M. HENRI FARMAN – Le Siècle de la vitesse
M. SADI-LECOINTE – Mon premier vol
M. LUCIEN BOSSOUTROT – Paris-Dakar
M. LOUIS JANOIR – Comment je faillis être détenteur de la Coupe Pommery en 1913
Mlle HÉLÈNE BOUCHER – Impressions d’acrobatie aérienne

EDITIONS DU COMITÉ DES ŒUVRES SOCIALES DU MINISTÈRE DE L’AIR
26, Boulevard Victor, Paris


Lire :
« Hélène Boucher, pilote de France (1937)« 
« Le message d’Hélène Boucher, par René Chambe (1979)« 
Découvrir ici la Fédération des Œuvres Sociales de l’Air (FOSA).


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La vie, l’œuvre et les archives du général d’aviation et écrivain René Chambe (1889 -1983).

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