Alors que des journaleux glosent sur la signification prétendument cachée de la dernière « Lettre à un jeune engagé » intitulée « Confiance » et postée sur le compte Facebook du Chef d’Etat-major des Armées, le général Pierre de Villiers (le 14 juillet 2017, reproduite en fin d’article), je rebondis sur ce thème de la confiance telle que la pratiquait René Chambe. Pour le chef qu’il était, du sous-lieutenant au général, construire la confiance était une absolue nécessité. Petit florilège.
Dans la droite ligne du général Delestraint cité par Villiers, citons à notre tour René Chambe qui s’adresse à ses hommes qu’il réunit une dernière fois dans les mêmes circonstances, le 19 juillet 1940 (source : archives familiales) :
« Ne vous laissez pas aller au découragement, au désespoir. Le dernier mot n’est pas dit. La guerre n’est pas finie. D’autres la continuent. Un jour, la France reprendra sa place dans la lutte, à leurs côtés. Je vous le jure ! La France ne peut mourir ainsi, c’est impossible. La France est éternelle. Ecrasée aujourd’hui sous le nombre, elle saura se relever demain, reprendre les armes, rejeter l’ennemi hors de ses frontières et laver ses drapeaux de l’humiliation de la défaite.
[…]
Rentrez chez vous ! Laissez-moi, tous, vos adresses. Vous avez la mienne. Restez en contact avec moi. Gardez, quoi qu’il arrive, intacte votre confiance ! L’Allemagne et l’Italie seront battues. La France sera victorieuse.
Préparez-vous en silence. Soyez prêts à répondre au premier appel !
Cet appel viendra !
Je ne vous dis pas adieu.
Je vous dis AU REVOIR ! A BIENTÔT !
Vive la France !
Colonel Chambe
Commandant les Forces Aériennes
Et Anti-aériennes de la VIIe Armée »
Poursuivons avec deux extraits de ses lettres adressées à son frère Joseph durant la guerre 14-18. Nous nous bornons ici au début de la guerre car il y a une légion de passages qui marquent la volonté de René Chambe dans ce chemin de la confiance (source : archives familiales).
Lettre du 8 octobre 1914
[…]
Oui nous vivons dans une atmosphère terrible, mais comme c’est beau ! sublime !
Tu ne peux te faire une idée de la joie immense, magnifique que j’éprouve au milieu de mes hommes. Je devine, je sens la confiance que je leur inspire. Ce ne sont plus les petits cavaliers de Limoges que je commande, mais des guerriers, des vrais qui ont vu le feu … et sérieusement. Dans les moments difficiles je sens leurs yeux fixés sur moi et alors, tu sais cela me communique une force énorme ! Être un chef ! Je sais bien maintenant ce que c’est !…. Quand un obus tombe trop près, que les balles sifflent, je m’efforce de trouver un sourire ou un lazzi, alors tout mon peloton en fait autant. Et le soir, au bivac (sic), quand au moment de la soupe (lorsqu’il y en a) je me promène au milieu d’eux, je leur parle comme à des camarades, je leur parle de leur pays, de leur cher Limousin. Comme ils m’écoutent rêveurs, ou farouches les yeux brillants.
Mes hommes j’en fais ce que je veux ! Je les mène où je veux. Ces types vois-tu, après la guerre, je ne les oublierai jamais, je leur écrirai à tous. Très souvent on m’envoie en reconnaissance, je me suis fait un peu une spécialité.
Chaque fois j’emmène quatre ou cinq cavaliers. Ils se disputent pour venir. Et pourtant il y a du danger. […] ».
Gardez tous confiance, comme je l’ai moi qui vois de près les choses. Ça va bien je vous assure. Nous serons vainqueurs ! vainqueurs !!! Mille souvenirs à ceux que tu verras et que je connais, aux gens, aux bêtes, même aux meubles et aux objets de la maison. Si tu savais comme je pense à tout cela, comme je les vois !… ».
« Mercredi 21 octobre 1914
[…]
Je vais toujours très bien. Le moral est excellent, excellent. En est-il de même à la maison ? Je me représente vos attentes et vos angoisses quand beaucoup de jours se passent sans nouvelles des absents… J’en souffre rien qu’en y songeant. C’est égal ne désespérez jamais, ni les uns ni les autres, même si vous restez un temps indéfini sans savoir ce que nous devenons. C’est quelquefois très difficile d’écrire. Que sera-ce quand nous aurons passé la frontière !! »
Maintenant, écartons-nous un peu du seul mot « confiance » pour nous étendre sur le champ du commandement aux hommes. Dans « Sous le casque de cuir », René Chambe fait dire à son héros en mission en Roumanie, le capitaine André Survian – qui n’est autre que son double romanesque –, ces mots fort éclairants (p 120-121, édition Baudinière, 1928) :
« Lourde solitude. Quand la porte est fermée, je redeviens moi-même.
Pola Vaccis serait bien surpris s’il pouvait savoir qu’après tout, je suis moins gai que lui. Mais il ne le sait pas.
Commander, que de grandeur et d’âpre volupté dans ce petit mot !
Et il y a tant de façons de commander, d’être le chef. Je connais l’une des plus rares.
Au feu, tout est facile et simple. Mais la lutte lente et tenace contre la lassitude, contre le doute, l’isolement dans un pays perdu, contre l’ennui, le ciel gris, la misère, le froid, l’oubli, contre la torpeur, voilà qui est plus difficile.
Aussi, dès que je pousse la porte du mess, je m’acharne à montrer un visage souriant, à rompre le silence, à être enthousiaste. La tristesse n’a pas le droit d’entrée. Elle reste dehors dans la rue, ou dans nos chambres, lorsque nous sommes seuls. Ensemble, il est interdit d’être mélancoliques, la gaité est de règle. Nous nous bluffons peut-être mutuellement, mais l’ambiance est créée. Il n’y a que ça qui compte. »
Enfin, terminons par ce paragraphe tiré de « Souvenirs de chasse pour Christian » (Flammarion, 1963) où René Chambe évoque les grandes manœuvres de 1899 alors qu’il avait dix ans. Monbaly fut l’un des nombreux théâtres de cet exercice grandeur nature. Son récit l’amène à cette réflexion (p 305) :
« Je ne pourrai supporter autour de moi ceux qui ne le croiront pas, les sceptiques, les blasés. Je les aurai en horreur ! Au long de ma carrière, je m’arrangerai pour n’avoir jamais sous mes ordres que des officiers et des gradés allants, ardents, optimistes, même au plus fort des revers, des officiers et des gradés enthousiastes, gonflés, fanas, qui croiront toujours que c’est arrivé et que rien n’est jamais perdu. Ce ne sera pas difficile dans la cavalerie et l’aviation. Les autres, je n’en voudrai à aucun prix, je les éloignerai, je les écarterai, je m’en débarrasserai, ce sont les agents dissolvants du moral d’une armée, ou d’une nation. »
Ci-dessous et pour conclure, les mots du général Pierre de Villiers :
« Lettre à un jeune engagé »
par le général Pierre de Villiers, Chef d’Etat-Major des Armées.
Vendredi 14 juillet 2017
CONFIANCE
Mon cher camarade,
« Confiance, confiance encore, confiance toujours ! ». C’est par ces mots que le
général Delestraint conclut ses adieux à ses compagnons d’armes, au mois de juillet
1940, à Caylus. Alors même que la défaite est actée, son discours est une exhortation
ferme à rejeter toute « mentalité de chien battu ou d’esclave ».
Quelques mois plus tard, conformant ses actes à ses paroles, il prend la tête de l’Armée
secrète. Arrêté, torturé puis déporté, il meurt au camp de Dachau, le 19 avril 1945,
moins de trois semaines avant la victoire, dont il a été l’un des artisans les plus actifs.
Ce qui m’a toujours frappé dans cette recommandation du général Delestraint, c’est
d’abord ce qu’il ne dit pas. Il ne dit ni « en qui », ni « en quoi » avoir confiance. A ses
yeux, le plus important est, avant tout, cet état d’esprit singulier – cet « optimisme de
volonté » – qui choisit de voir la plus infime parcelle de lumière au cœur des ténèbres
les plus noires.
La confiance, c’est le refus de la résignation. C’est le contraire du fatalisme, l’antithèse
du défaitisme. Et, en même temps, il y a dans la confiance une forme d’abandon. Agir
sans s’abandonner, c’est faire preuve d’orgueil. S’abandonner sans agir, c’est se laisser
aller.
Choisissons, donc, d’agir comme si tout dépendait de nous, mais sachons reconnaître
que tel n’est pas le cas. Autrement dit, si toute notre foi, tout notre engagement et notre
détermination sont nécessaires, ils sont à jamais insuffisants pour envisager la victoire.
La vraie confiance réconcilie confiance en soi et confiance en l’autre.
La confiance en soi, d’abord. Vertu essentielle qui se construit dès l’enfance. Vertu qui
naît des obstacles surmontés. C’est le cas dans les stages d’aguerrissement, que
certains d’entre vous ont vécus. Ils vous révèlent vos capacités réelles qui dépassent,
de beaucoup, ce que vous auriez pu imaginer. La confiance en soi est un moteur. Elle
libère les énergies et encourage à l’action. Les fausses excuses tombent. Tout ce dont
je suis capable devient possible !
La confiance dans l’autre, ensuite. Celle par laquelle je reconnais que je ne peux pas
tout ; que le salut passe autant par mon camarade, mon chef, mon subordonné que par
moi-même. Par cette confiance, je m’assume dépendant. Cette reconnaissance est le
ciment de nos armées. La confiance mutuelle fait notre unité, en même temps que
notre assurance. C’est elle qui fait dire au capitaine de Borelli, considérant ses
légionnaires : « Par où pourrions-nous bien ne pas pouvoir passer ? ».
La confiance dans le subordonné est, particulièrement, féconde. On a pris l’habitude
de lui donner un nom savant : la subsidiarité ; mais ça ne change rien. Comme chef
d’état-major des armées, je mesure chaque jour davantage à quel point je suis
dépendant de l’action de chacune et de chacun d’entre vous. Seul, je ne peux rien.
Ensemble, rien n’est impossible !
Je terminerai par une recommandation. Parce que la confiance expose, il faut de la
lucidité. Méfiez-vous de la confiance aveugle ; qu’on vous l’accorde ou que vous
l’accordiez. Elle est marquée du sceau de la facilité. Parce que tout le monde a ses
insuffisances, personne ne mérite d’être aveuglément suivi. La confiance est une vertu
vivante. Elle a besoin de gages. Elle doit être nourrie jour après jour, pour faire naître
l’obéissance active, là où l’adhésion l’emporte sur la contrainte.
Une fois n’est pas coutume, je réserve le sujet de ma prochaine lettre.
Fraternellement,
Général d’armée Pierre de Villiers
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La vie, l’œuvre et les archives du général d’aviation et écrivain René Chambe (1889 – 1983).
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