« Sous le casque de cuir. Film français. L’opinion de René Chambe »
Article paru dans « Salut public » de Lyon (13 décembre 1932)
Il est d’habitude courante de demander à l’auteur d’un livre, que l’on vient d’adapter à l’écran, s’il se déclare ou non satisfait de l’œuvre réalisée. Il en a donc été ainsi à mon égard, et j’ai dû subir de nombreuses interrogations à propos du film « Sous le casque de cuir » que le public de Lyon va être appelé à juger dans l’une des principales salles de la ville.
J’ai toujours répondu que de tels débats paraissaient vains et que c’était ouvrir, là, une controverse inopportune et sans issue. Imposer au cinéaste l’obligation de suivre pas à pas le sujet du roman, c’est condamner presque fatalement le film à d’insupportables longueurs. Que dirait-on en effet de l’auteur d’un livre à illustrer qui contraindrait le dessinateur à imaginer de son crayon les moindres scènes de son œuvre ? Non ! si celui-ci connaît son métier, il choisira les situations les plus typiques, les plus vivantes pour en tirer les effets les plus propres à flatter l’œil, tout en faisant comprendre, par la seule vue des illustrations, le sujet du roman. Condenser un livre de trois cent cinquante pages en un film d’une durée d’une heure et demie, est un tour de force qui nécessite d’inévitables suppressions, interprétations, voire même modifications.
Grâce à la maîtrise de cinéastes-nés comme Jacques de Thierrens et Albert de Courville, « Sous le casque de cuir » a souffert le minimum d’une telle opération chirurgicale.
Au reste, la réalisation de ce film visait à un but plus élevé que celui de respecter le texte du roman.
Depuis trop longtemps, depuis l’apparition du cinéma sonore et parlant, les écrans du monde entier n’avaient été invités – en fait de films d’aviation – qu’à faire revivre les exploits des escadrilles étrangères. Depuis bientôt dix ans, le carré magique de toile blanche, qui est vraiment la vivante fenêtre de l’univers, ne s’était animé qu’au vol serré des ailes américaines ou anglaises, ou italiennes, ou même allemandes. Des cocardes françaises, point ! Sur elles, le silence et les ténèbres ! L’aviation française s’était-elle battue pendant la guerre ? Avait-elle même existé… On arriverait à l’oublier, le beau mais vieux film de l’ « Equipage » de Kessel, à l’époque du « muet », s’étant évanoui depuis longtemps dans le passé.
La critique cinématographique française avait bien élevé la voix et protesté contre un silence trop systématique pour n’être pas suspect. Les forces occultes, qui gouvernent en ce moment le monde et s’acharnent à effacer le rayonnement de notre victoire, ont, en effet, asservi depuis longtemps cet admirable instrument de propagande qu’est le cinématographe et leur effort s’est exercé surtout en Amérique, centre de la production. De là-bas sont partis nombre de films dont le mot d’ordre secret est de porter atteinte par tous les moyens à ce qui subsiste encore du prestige de notre pays, de notre sentiment national et de notre fierté d’avoir été vainqueurs.
Et, pour les ailes françaises, la condamnation était radicale : le silence.
La critique s’était lassée de réclamer. En France, pas de moyens, pas d’argent ! L’or germano-américain se dérobait ! Que faire ?…
Eh bien un homme s’est levé ! Deux hommes se sont levés. Aviateurs de guerre tous les deux : Jacques de Thierrens et Max de Pourtalès. Ils ont voulu montrer, en France d’abord et dans le monde ensuite, des escadrilles d’avions battant couleurs françaises ! Et derrière ces deux hommes, un groupe américain, au cœur droit, à l’esprit indépendant, Les Artistes Associés, n’a pas hésité à appuyer le mouvement. Il s’est chargé, malgré tous les obstacles qu’il ne manquerait pas de rencontrer, – qu’il a déjà rencontrés – de répandre le film.
Le sujet de « Sous le casque de cuir », a été choisi. J’en suis heureux. Le Ministère de l’Air, comprenant le but poursuivi, a accordé les moyens matériels indispensables. Les pilotes, qui ont « tourné » les vues aériennes sont des pilotes militaires, dont certains n’ont eu, non sans émotion, qu’à laisser revivre en eux des heures qu’ils avaient réellement vécues. « Ils n’ont pas joué, ils se sont souvenus. »
Jacques de Thierrens, as de la chasse, animateur infatigable, s’est dépensé, et a dépensé sans compter pour parvenir à réaliser ce film, écartant les obstacles, relevant les énergies, soufflant sans cesse sur l’enthousiasme de tous pour le ranimer aux moments difficiles. De ces vues aériennes splendides, on doit dire qu’elles ont été prises « sans aucun trucage ». Les procédés américains ont été impitoyablement bannis, même dans cette vrille qui donne au spectateur la terrible impression d’être lui-même en vrille, en voyant tournoyer réellement le sol sur l’écran, tel qu’il a été saisi par l’objectif. Une mention particulière doit être faite du cran de la courageuse et célèbre vedette française Gina Manès et de la folle témérité du jeune opérateur Porcher, qui attaché à son poste, n’a pas hésité à braver l’abîme pour surprendre en plein vol les différents aspects des avions dans le vide. Tout est français dans ce film, les artistes, les pilotes, les appareils, les idées, les capitaux, le courage et le but poursuivi. Face aux ailes étrangères, sur l’écran du monde, grâce à Jacques de Thierrens et aux Artistes Associés, les ailes françaises viennent de se lever pour la première fois !
Et la Roumanie ? m’a-t-on demandé. Qu’y a-t-il de vrai dans tout ce film ? Les personnages en ont-ils réellement existé ?…
Là-dessus, je dois me taire. Je dirai simplement que là-bas, vécurent de fiers pilotes aux téméraires visages et que d’héroïques femmes, russes ou roumaines, se firent vraiment, par amour pour leur patrie, déposer en avion dans les lignes ennemies dans le but d’y remplir les plus périlleuses missions.
Et si, d’aventure, quelque spectateur s’égare un jour dans les contrées lointaines, aux confins des Alpes de Transylvanie, on lui montrera sans nul doute, les ruines solitaires de ce fier château de Neamtzu, aujourd’hui célèbre, où plane le plus pur souvenir de Florica Romanesco…
René Chambe
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La vie, l’œuvre et les archives du général d’aviation et écrivain René Chambe (1889 – 1983).
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