Voici le parcours fulgurant d’un pilote qui a d’autant plus impressionné que ce pilote était… une femme ! Et cette femme, Hélène Boucher, incarne alors parfaitement dans la période de l’entre-deux-guerres la figure héroïque de l’aviateur et rejoint la constellation des aviatrices françaises de légende : Maryse Bastié, Adrienne Bolland et Maryse Hilsz. L’auteur, René Chambe, a connu l’aviatrice dans les temps de sa gloire et si le lecteur veut savoir l’essence de cette personnalité hors norme, alors, Hélène Boucher, pilote de France est sans aucun doute le lieu de sa célébration. Après avoir interrogé son entourage, sa mère et ses amis et compagnons, que Chambe connaît lui-même de près ou de loin, l’auteur parvient à dresser au-delà du portrait vivant, un parcours ô combien déterminé, tragique, tendu autant vers la gloire que vers la mort.
Si cette biographie fait la différence, c’est parce qu’elle fut écrite par un aviateur et par quelqu’un qui avait eu à plusieurs reprises l’occasion de rencontrer Hélène Boucher. Mais on connaît aussi la marque de René Chambe : ici, dans le contexte brûlant de la fin de l’entre-deux-guerres, alors qu’il est officier à l’état-major particulier du Ministre de l’Air, le général Victor Denain, il érige Hélène Boucher, cette « jeune fille de France » en héroïne patriote, qui aurait tout fait pour servir comme pilote de chasse dans l’armée de l’air si une guerre se précisait…
« En ce mois d’août 1934, la situation de l’Europe vient de tourner au sombre. Il y a vingt ans, éclatait la guerre de 1914. Des augures prophétisent que nous sommes à la veille du même cataclysme. La France est en danger. Des forces occultes la menacent. Tout le monde parle de guerre.
Alors, tandis que le capitaine Pujet court à côté d’Hélène hissée sur les épaules de ses admirateurs et lui tient la main, elle lui crie :
– S’il y a la guerre, j’espère, cette fois, qu’on ne me refusera pas de me battre dans une escadrille de chasse ! ».
Chambe n’oublie pas de relater l’enfance parisienne de « Léno » au 169 rue de Rennes, et celle plus retirée de Yermenonville. Elle ne semble pas plus intéressée que cela par l’aviation mais il en ressort le portrait d’une personnalité très indépendante, audacieuse, très volontaire. Elle veut tout faire toute seule, comme les grands. Aussi à treize ans pilote-t-elle la moto de son frère, et à quinze la voiture de son père ! Plus loin, on comprend que derrière le masque souriant sourd une jeune femme plus souvent mélancolique. Et dès lors qu’elle touche à l’aviation, on pourrait reprendre l’image du feu sous la glace – glace étant un peu excessif peut-être. Chambe évoque plutôt la « froideur » du pilote extrêmement concentré, la combativité d’une jeune femme franche et pas intrigante, là où une Maryse Hilsz aurait causé du tort à Hélène… De ceci, le texte n’en dit rien, mais les notes de Chambe lorsqu’il interroge Dolly van Dongen, oui ! Chambe campe un personnage très romanesque et de fait, la lecture des notes et interviews pour la préparation de son récit confirment ces traits hors du commun.



Les trois éditions par Baudinière en 1937, France-Empire en 1964 et Hachette en 1966.
Depuis son baptême de l’air en 1930 qui précède de peu la mort de son ami Jean Huber, jusqu’à sa mort, on passe par toutes les grandes étapes de sa vie de pilote. Le livre renferme même la publication de son journal de bord du raid Paris-Bagdad. On la suit dans ses leçons de voltige avec Michel Détroyat. Et voilà déjà les jours d’août 1934, ceux de ses grands records nous montrent une pilote dans la fièvre passionnée du vol : « On peut faire mieux. » dit-elle, refusant l’homologation de son record de vitesse du 10 août à 428 km/h. Et pour cause, elle franchit la barre le lendemain des 445 km/h, faisant d’elle le pilote, hommes et femmes confondues, « le plus vite du monde ».
On retient le récit du meeting du Portugal une vingtaine de jours avant son accident mortel où « Hélène est déchainée », on relit angoissé ce vol brutalement arrêté du 30 novembre 1934. On suit avec émotion René Chambe et Roger de Grésigny en visite à la maison de Yermenonville, accueillis par les parents de Léno, Léon et Hélène Boucher (sa mère s’appelle aussi Hélène). Et voilà Madame Boucher qui sort de son écrin la relique poignante : le serre-tête marbré de tâches brunes que portait Léno ce jour tragique :
« Il est là, tel qu’il fut apporté, taché de sang, marbré de funèbres plaques brunes. Mme Boucher l’a pris avec une infinie douceur et l’élève dans ses deux mains à la lumière. Nous baissons le front afin de ne pas voir ses larmes et pour cacher les nôtres. Mais je regarde sur la soie claire les lourdes taches sombres. »
Mais « non, pourquoi pleurer ? Hélène n’est pas morte ! ».
Mais encore…
En 1936, déjà deux livres sur Hélène Boucher.
Fallait-il que René Chambe jugeât insuffisants les écrits déjà publiés par Antoine Redier (« Hélène Boucher, jeune fille française », Flammarion, 1935) et par Jacques Mortane (« Hélène Boucher aviatrice », Plon, 1936) pour rédiger lui-même une biographie ? Il faut peut-être le croire. Et ce ne sont pas les mots de Mme Boucher – mère de Léno – ni ceux de Roger de Grésigny, fidèle compagnon entre tous, qui font douter Chambe un instant. C’est dans nos archives que nous trouvons ces lignes manuscrites, avec Hélène Boucher (la mère de Léno !) d’abord (lettre du 28 juillet 1936) :
« J’attends avec confiance votre livre. Vous avez connu notre fille. Et vous savez par expérience, combien il faut lutter dans ce dur métier qu’elle avait choisi. Combien de gens qui ont écrit sur Hélène articles ou livres, peuvent en dire autant ? »
Puis avec Roger de Grésigny (lettre du 19 mai 1937) :
« Hélène a enfin le livre qu’elle méritait. J’y ai retrouvé, intacts et sincères, les traits marquants de son caractère, l’histoire de sa lutte, sa prodigieuse et rapide réussite, hélas aussi sa triste fin.
De tout cœur, je souhaite à votre ouvrage le plus franc succès : nombreux puissent être les Français qui puiseront l’idéal dans la vie d’une jeune fille de France, symbole d’énergie et de loyauté ».
L’écrivain et critique François Porché écrit dans L’Illustration du 17 juin 1937 :
« René Chambe a eu raison en ne négligeant pas de nous dépeindre les années d’enfance de son modèle, l’honnête milieu de bourgeoisie parisienne d’où Hélène est sortie, l’éducation qu’elle reçut au foyer familial, rue de Rennes, ses classes au collège Sévigné, ses premières amitiés (dont l’une, avec Mlle Dolly van Dongen, une condisciple de Sévigné, devait durer jusqu’au dernier jour).
Certains traits de caractères, visibles déjà chez la petite Léno, étaient intéressants à connaître, notamment son obstination précoce, son indépendance, son aversion pour le monde, son goût des sports. […]
Mais ce qui peut-être m’a paru le plus précieux dans cette belle biographie, écrite sans prétention, avec l’accent de la sincérité, ce sont les pages consacrées aux relations d’Hélène avec ses amis d’Orly. On saisit là sur le vif toute une matière romanesque encore inédite (quoi que assez souvent effleurée et déflorée par l’imagination fantaisiste de littérateurs mal informés). »
Incarnation et identification
On a bien vu, à travers les manières de la présenter « jeune fille française » et « pilote de France », que l’aviatrice incarnait une époque, un élan, un patriotisme. C’était une jeune femme qui avait tout donné pour l’aviation, pour sa passion avant tout. Et on en avait fait un porte-étendard, une jeune femme qui avait tout donné pour la France, car ses records étaient acquis pour la gloire des ailes françaises. Elle en était fière, très certainement, pourquoi en douter ? C’est d’ailleurs le sens du texte écrit à l’adresse des collégiens et lycéens par Chambe en 1979 : « Le message d’Hélène Boucher ». René Chambe savait en traitant ce sujet qu’il y avait matière à servir la cause qu’il défendait, lui : le sentiment national, la préparation des mentalités, la préparation à une guerre future, proche, inévitable… Il ne faut perdre de vue cet aspect-là en lisant le livre car il émerge de temps à autre. Chambe est tout autant recruteur qu’écrivain. En 1936 et 1937, lorsqu’il travaille à l’écriture de ce livre, au moment même où disparaît Jean Mermoz, il est Directeur des Études de l’École de l’Air ! Il est conscient de son talent de conteur et de sa capacité à inspirer des vocations.
« Il est dans le ciel des sillages glorieux que rien jamais ne saurait effacer. Il est aussi des étoiles dont l’altitude est si haute au-dessus de la terre, que leur lumière, bien qu’elle soit morte depuis des milliers d’années, continue de briller et de venir jusqu’à nous. […]
Hélène Boucher est l’une de ces étoiles. A l’heure de l’effort ou du péril, sa clarté, bien longtemps, soutiendra l’âme des pilotes de France. »

Un autre aspect, bien plus personnel cette fois, saute aux yeux quand on connaît la personnalité de René Chambe : jusqu’à quel point l’auteur se reconnaît-il dans son modèle ? Il se confiera bien plus tard à Jacques Chancel (Radioscopie, 2 octobre 1979) : « Je voulais tout faire, tout essayer. J’avais la rage d’essayer ! ». Enfant, il rêvait d’idéal, de cavalcades et d’aventures militaires, et jeune adulte, il balayait déjà d’un revers de main la prudence bourgeoise dans laquelle il avait lui-même était éduqué. C’est l’autre sens, en réalité le principal, du « Message d’Hélène Boucher » : la quête d’un idéal. C’était une idée chère à René Chambe. Alors, incontestablement, la figure d’Hélène, son caractère déterminé, intrépide, passionné ne pouvait pas le rendre insensible et forçait son admiration. Elle avait tout donné, et lui aussi, dès août 1914, à cheval ou en avion, il était bien décidé à tout donner ! Mais la modestie qui le caractérisait lui faisait placer bien au-dessus de lui des pilotes d’une trempe exceptionnelle, tels Navarre, Guynemer, Mermoz et… Hélène Boucher. En outre, Chambe, père de trois filles aux boucles blondes, n’a eu qu’à détourner un peu la tête de sa table de travail pour puiser ce qu’il fallait de vivacité et de fraicheur, notamment en observant sa fille aînée Dolly, âgée de 17 ans en 1936, dont il dira quelques années plus tard dans une lettre écrite en pleine bataille de Colmar (janvier 1945) : « ce n’est pas une bourgeoise, elle ! ».
Une figure du féminisme
Chambe n’aborde pas l’engagement féministe de Boucher aux côtés de Louise Weiss, qui se trouve être la cousine germaine de son camarade écrivain-aviateur Pierre Weiss. Cependant, il la présente de fait comme une figure féministe. En témoignent cet extrait ainsi que ceux proposés plus bas :
« comme elle regrette d’être une femme !
[…] En France, on ne prend pas au sérieux les femmes. Le Français, avec ses idées toutes faites, avec cet esprit de convention dont vingt siècles de civilisation n’ont pas encore réussi à l’affranchir, croit volontiers que la femme est un être inférieur, incapable d’accomplir certains exploits dont l’homme seul conserve le privilège.
Insupportable orgueil ! Mais règle immuable, règle bien établie, dur comme roc […] Hélène l’a bien vu ! Toutes les fois qu’il s’est agi pour elle d’entreprendre la moindre démarche, elle a senti peser à son égard cette prévention. On a été aimable avec elle, on a fait mine de s’intéresser à ses désirs, à ses projets, on a même pris des notes, formulé des promesses. […] Ce n’était que vaine politesse. »
Paradoxe d’un homme qui ne cachait pas son admiration pour les aviatrices, parce que pilote et parce que femmes dans ce milieu d’hommes, ne disait-il pas pour ses filles ou petites-filles « qu’un bon mariage vaut un bon diplôme » ! On se souvient aussi (> lire notre article Les femmes aux commandes) de son avant-propos d’Enlevez les cales ! où il rapporte une conversation comme passager d’une amie au volant de sa voiture qui craint plus les avions que les voitures de courses – nous sommes en 1934 –. A force de persuasion et d’arguments, il prouve que l’aviation commerciale est à l’acrobatie ce que la voiture de tourisme est à la voiture de course, c’est-à-dire que le milieu aérien peut être sûr et sans danger et que les femmes pilotes y ont autant leur place qu’au volant d’une banale voiture.
D’autres noms viennent et viendront dans cet univers féminin de l’aviation, des noms plus ou moins confidentiels : Jacqueline Cousin dite Jac dont il rédigera la préface de son livre ; de même pour celui de Germaine L’Herbier-Montagnon ; Michèle Savary ; Fanny Détroyat, pilote et épouse du roi de l’acrobatie. Enfin, un mot sur Jacqueline Auriol, digne successeure (on ose le –e !) d’Adrienne Bolland en tant que pilote d’essai et qui, de mémoire familiale, emmena Chambe dans son avion à réaction bi-place lors d’un meeting aérien pour lui confier le manche quelques instants : « Général, à vous les commandes ! ». Est-ce un signe ? Son dernier contact aux commandes d’un avion fut celui dont le commandant de bord était une femme ! L’idée est plaisante.
La Citation à l’ordre de la Nation
C’est en 1979 dans « Le message d’Hélène Boucher » que Chambe nous apprend qu’il est le rédacteur, à la demande de son ministre le général Denain, de la Citation à l’ordre de la Nation de l’aviatrice. Le texte est connu (J.O. du 2 décembre 1934) :
Pilote aviatrice, personnifie la jeune fille française : modestie, simplicité, vaillance. Pilote de grande classe qui a conquis en peu de temps les records les plus enviés, grâce à son habileté et à son audace réfléchie. A donné sa vie pour l’aviation.
Le secret d’Hélène Boucher
C’est encore dans cet émouvant texte « Le message d’Hélène Boucher » que le biographe explique comment la jeune fille est venue à l’aviation :
« […] elle était virtuellement fiancée à un jeune officier de l’aviation militaire, lorsque celui se tua accidentellement à l’Ecole de Pilotage d’Istres. Il fut carbonisé dans son avion en flammes. Il se nommait Jean Huber*. Il avait dit à Hélène le jour de leurs fiançailles :
– Nous faisons un métier qui comporte des risques. Je sais que cela ne vous fera pas reculer. Et puis, qu’importe, chez nous, lorsqu’un pilote tombe, un autre prend sa place !
Ils avaient ri ensemble. Un mois plus tard se produisait le terrible et fatal accident. Dolly van Dongen nous a fait connaître les circonstances dans lesquelles Hélène a appris la mort du sergent Jean Huber par un télégramme de son frère Georges Huber, enseigne de vaisseau. Hélène était très éprise de son fiancé, qu’elle admirait.
[…] dans la rue, Hélène dit à Dolly van Dongen, stupéfaite :
– Dans l’aviation, quand un pilote tombe, un autre le remplace. Jean Huber est tombé, je prends sa place. J’entre dans l’aviation et j’y serai pilote. C’EST DECIDÉ.
C’est de ce jour de l’année 1930 qu’Hélène Boucher entre dans l’Histoire. Elle avait alors 22 ans. Nous savons, nous, qu’il lui restait quatre ans à vivre. »
* dans ce texte comme dans son livre, Chambe mentionne les frères Georges et Jean HUBERT (à tort avec un T), ce qui a porté à confusion plus tard avec un autre aviateur, pilote d’essai et constructeur Jean HUBERT (1885 – 1927).
À propos de Jean Huber
Jean René Huber (1906-1930) est sergent-pilote instructeur à Istres lorsqu’il meurt en service commandé pour convoyer de Toulouse à Istres le sergent mécanicien Gustave Audouy. Les aviateurs s’abîment le 1er août 1930 dans l’Hérault au-dessus de la commune de Faugères sur la colline du Mont Ban. Tous deux sont brûlés. C’est moins d’un mois après le baptême de l’air d’Hélène à Orly. Dépassant la terreur de cette mort atroce, Hélène décide, en future pilote, de « prendre la place » du pilote tombé.
Source de multiples confusions, le nom de Jean Huber a souvent (sinon toujours…) été orthographié Hubert, y compris par Chambe lui-même. Or un certain Jean Hubert, également aviateur, pilote d’essai et constructeur d’avions, meurt d’un accident de voiture en 1927 à l’âge de 41 ans. Il n’a aucun rapport avec la vie d’Hélène Boucher et c’est pourtant ce pilote d’essai qui est souvent mentionné par erreur dans de multiples textes sur internet.
On trouve ici une intéressante enquête sur la mort de J. Huber et de G. Audouy.
Extraits…
Nous vous proposons volontairement une série d’extraits orientés sur le caractère féministe du texte et de sa protagoniste. Il faut être conscient que si ces phrases nous paraissent pour le moins naturelles aujourd’hui, elles se révélaient plus aigües en 1937…
« Hélène a horreur de se soumettre, mais un instinct secret l’avertit que, la liberté, cela s’achète par le travail. Alors, elle s’acharne à la besogne. Elle est orgueilleuse aussi. Elle a conscience de sa valeur. »
« ce désir, affirmé avec force, de sortir des chemins battus, de s’affranchir de cette existence bourgeoise dont se contente sa famille, ses parents, ses amis, mais qu’elle juge étouffante et qu’elle refuse d’accepter pour elle-même. Dès cette époque, la lutte est déjà engagée entre la vie et Hélène Boucher. […]
Cette même bataille, que de gens avant elle, ont voulu la livrer ! Mais combien ont persévéré ? Combien ont résisté aux obstacles, aux difficultés, à l’usure de tous les jours ? Dès les premiers pas, ils se sont aperçus à quel point pesait lourdement à leur épaule le fardeau qu’ils s’étaient imposé, alors, allant de concession en concession, de renoncement en renoncement, ils ont accepté de le réduire, d’en diminuer la charge, jusqu’au jour où, toute fierté abolie, ils ont, en définitive, abandonné.
Hélène Boucher, jamais. […]
Se marier ? Peut-être, mais rencontrera-t-elle jamais l’être d’élite dont elle rêve et qu’elle admirera assez pour accepter de se soumettre à lui ? Elle en doute, mieux vaut se chercher un but, à soi toute seule. Elle ne dépendra de personne, elle ira son chemin, intransigeante et libre ».
« La vie est dure, la vie est une bataille, même quand on a vingt-deux ans, surtout quand on a vingt-deux ans et qu’on est une femme. Ah ! les hommes ont bien de la chance ! On les écoute, on les prend au sérieux. Les jeunes filles, non ! A moins qu’elles ne parlent de chiffon, d’essayages et de chapeaux, de manucures, de coiffures et de permanentes. Mais que certaines cherchent à s’élever au-dessus de si pauvres futilités, elles ne rencontrent aussitôt qu’obstacles et que critiques. Et jamais un appui ! »
« Il y a des femmes qui font ce que ne feraient pas des hommes ! Il y a des jeunes filles qui ont plus de cran que tous ces jeunes gens sans vocation et sans volonté, abrutis par les facilités de l’après-guerre, par les bars, les films et les dancings ! […] Hélène a horreur de la danse. Elle a le monde en aversion, ce monde de 1925-1930, avec son existence factice, conventionnelle et vide. Elle prend en grippe ces thés, ces après-midi, ces « ronds de dames », ces papotages dont raffolent ses amies. On la traite de petit animal sauvage. »
Extrait de son Journal de bord, entre Irak et Syrie (février 1933) :
« Mardi 22 […] A 11 heures le ciel est dégagé, je me prépare à décoller. Au revoir aux camarades de Mouslimié et en piste ! Pleins gaz ! Décollage très pénible, air pas porteur, je fais un tour immense au-dessus du terrain sans arriver à prendre plus de 50 mètres et je m’en vais au cap vers l’Euphrate. Temps clair, légèrement brumeux. Je longe le Lac-Salé, j’aperçois la route qui mène à Meskene. Voici l’Euphrate. Eaux jaunes et fleuve tout en méandres. Ce paysage du désert est vraiment spécial et angoissant. Jusqu’à Meskene un peu chahutée, je vole à 200 mètres ».
Quelques mots sur l’aviatrice :
Malgré son raid avorté, René Chambe écrit :
« Elle a donné la preuve qu’elle savait piloter longtemps et loin de sa base, qu’elle savait se diriger, tenir un cap, résister à la peur, à la fatigue, au découragement, résister à l’ennemie la plus perfide des aviateurs : la solitude. »
« les progrès sont foudroyants. Comme l’a noté avant lui Liaudet, comme l’a noté aussi Maillet, qui contribua à orienter Hélène Boucher vers l’acrobatie, Détroyat note à son tour les étonnantes dispositions de son élève : calme absolu, compréhension parfaite du pilotage, douceur de main exceptionnelle, obéissance complète, et inlassable persévérance. »
« Douze heures durant, avec une rage froide, un mépris absolu de la mort, elle dévore le circuit, prenant, comme un défi, ses virages au ras du sol autour des pylônes, sous les acclamations de la foule.
Où est la petite fille qu’en 1933, sur ce même terrain d’Avrillé, Détroyat encourageait de la main à chaque tour ?
[…]
Hélène était comme transportée dans un monde irréel, un monde où elle-même n’était plus rien, rien qu’une pensée projetée dans l’espace, une volonté tendue, une flamme dévorante, âme déjà arrachée à son corps, et qui, libre enfin, luttait victorieusement contre toutes les forces obscures de la matière. »
« Hélène Boucher, ce jour-là, est déchainée, elle est déchainée comme elle ne l’a encore jamais été. Du moment qu’elle représente la France à l’étranger, elle veut en être digne. Elle veut se surpasser. Elle a prévenu Détroyat. Et Détroyat, qui connaît le danger de ces excitations collectives, lui a recommandé d’être prudente, de garder la tête froide de se concentrer, d’être à tout instant maîtresse d’elle-même. »
Chambe rapporte enfin les mots du colonel Pierre Weiss, son camarade aviateur-écrivain, ce « cri d’indignation et de révolte de toute notre aviation » :
A qui la Parque en voulait-elle ?
Au printemps ? Au sang le plus pur ?
A l’héroïsme ? A l’hirondelle ?
Au bonheur ? Aux fleurs ? A l’azur ?
Nous n’étions donc pas là, nous autres,
Les briscards, les vieux rescapés,
Pour offrir notre sang d’apôtres
Que le ciel a si souvent trompé !
Lire ici :
« Le message d’Hélène Boucher », par René Chambe, 1979
« Impressions d’acrobatie aérienne », par Hélène Boucher, 1933
« Hélène Boucher en bande dessinée ! »
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La vie, l’œuvre et les archives du général d’aviation et écrivain René Chambe (1889 -1983).
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