Etre un bon officier, ce n’est pas uniquement être un bon combattant, c’est avant tout être un chef, un meneur d’hommes. Si le pivot central, la confiance, est bien ancré, alors le reste suit. Il n’est plus besoin d’être autoritaire pour faire autorité. C’est un long travail entrepris avec « ses hommes ». Et au moment décisif, un seul ordre bref et net suffit à déclencher le mouvement.
Quelques jours avant la démission du général Pierre de Villiers, souvenez-vous, en juillet 2017, le chef d’Etat-Major des Armées avait publié comme il le faisait régulièrement ce qui devait rester comme sa dernière « lettre à un jeune engagé » : « Confiance ». Nous avions rebondi ici même, rappelant les derniers mots du colonel Chambe à ses hommes en juillet 1940 avant le dispersement suite à l’armistice. Nous avions élargi le propos sur le commandement et le fait d’être chef. C’est l’occasion de relire ce florilège.
Ce même Pierre de Villiers publie aujourd’hui « Qu’est-ce qu’un chef ? » (Fayard). Non, nous n’avons aucune accointance avec lui – et quand bien même, où serait le problème ? – mais il nous a encore inspiré ici ces quelques lignes. Et René Chambe, quels sont les chefs qui l’ont marqué ?
Peu à peu dans ce site, nous parlerons de ces (ses) chefs qu’il a admirés et sur lesquels il a écrit, ou s’il ne l’a pas fait, l’avait eu en projet, concrétisés pour certains mais jamais publiés.
Prenons le commandant de Rose par exemple, René Chambe écrit de lui (Route sans horizon, Plon, 1981. Pp 15, 16) :
« Avec le commandant de Rose a disparu le chef que j’ai le plus admiré, le plus aimé. »
Puis il rapporte ainsi sont enseignement :
« Mon petit, je vais vous dire une chose : la première vertu pour un chef, c’est de comprendre les hommes placés sous ses ordres, de les connaître un par un, d’avoir pour de l’amitié, de l’affection, de l’indulgence. Mais cela ne doit pas exclure l’autorité, la fermeté, parfois la sévérité et, dans des cas très rares, la dureté. Surtout en temps de guerre. Le grand secret, c’est de se faire à la fois aimer et redouter. Ça n’est pas si facile. Le difficile, c’est de définir les limites. Ce que je dis est vrai pour la vie civile comme pour la vie militaire, plus vraie encore pour la vie civile. »
Enumérons ici ces figures principales marquantes. Nous ne serons sans doute pas exhaustifs :
Charles Tricornot de Rose, commandant de Rose : il fut le chef de l’aéronautique de la Ve armée du général Franchet d’Espèrey durant la « guerre de 14 », et surtout créateur de l’aviation de chasse et de la première escadrille de chasse, la MS 12. Il dirigea toutes les forces aériennes en mars 1916 de manière à rééquilibrer avec succès le ciel de Verdun. Mort en mai 1916, il marqua de son emprunte tous les pilotes qui l’ont côtoyé. Chambe était observateur puis pilote dans la MS 12 (puis N 12) de mars 1915 à juillet 1916 mais il fut détaché auprès de Rose dès avril 1916.
Lire Au temps des carabines (Flammarion, 1955), Dans l’enfer du ciel (Baudinière, 1933), Le commandant de Rose, créateur de l’aviation de chasse (Editions Dynamo, 1967 [texte intégral] et La Revue des Deux Mondes, 15/07/1966 [texte partiel]).
Le général Franchet d’Espèrey, commandant la Ve Armée française, remet la Légion d’Honneur à René Chambe, observateur à l’escadrille MS 12 (le premier à gauche, suivi de Robert, Pelletier-Doisy, X, Navarre, X) le 8 avril 1915 sur le terrain de Muizon près de Reims. Tout à gauche, presque hors champ, on aperçoit le commandant de Rose. Collection René Chambe.
Roumanie, fin 1916 à Braïla. René Chambe (à gauche) en compagnie d’un aviateur roumain et de deux aviateurs français (sergent Lamprou à droite). Chambe, avant de commander l’escadrille N1 dès la fin octobre 1916, était chargé de mettre en place une/des unité(s) de chasse intégrées à l’armée roumaine. Collection René Chambe.
Victor Denain, chef d’Etat-Major général de l’Armée de l’Air et ministre de l’Air. René Chambe fut à ses côtés durant la période féconde de la création de l’Armée de l’Air, et à son cabinet ministériel (1933-1936). Avec lui, il met sur pied le Service Historique de l’Armée de l’Air et occupe ensuite le poste de directeur des études de la toute nouvelle Ecole de l’Air.
Lire L’Armée de l’Air, garde du pays (La Revue des Deux Mondes, 15/08/1934).
Le lieutenant-colonel Chambe (à gauche) et le général Bouscat à l’Ecole de l’Air en 1936. Il est alors Directeur de Etudes de l’Ecole, d’août 1936 à l’automne 1937, avec la promotion capitaine Astier de Villate. Collection René Chambe.
Etre chef en temps de paix, c’est aussi parfois être confronté à des drames. L’année 1938 fut l’année noire pour la base aérienne 105 de Lyon – Bron : 7 accidents, 24 morts. René Chambe, qui commandait la 35e escadre à ce moment-là, eut à déplorer notamment deux accidents tuant trois équipages : L’Amiot 143 n° 112 a explosé en plein vol le 20 avril 1938 au-dessus de Barthenay, tuant les cinq membres d’équipage (Méry, Martin des Pallières, Chapuis, Vailly, Jourdain) ; une collision de nuit survenue le 22 août 1938 condamna les deux équipages (photo, sur le parvis de la cathédrale Saint-Jean-Baptiste à Lyon) : Amiot n° 120 : Brunet, Blugeon, Sabot ; Amiot n° 51 : Delaye, Capdeville, Doré. (source Cercle aéronautique Louis Mouillard). Collection René Chambe.
Henri Giraud, général Giraud. René Chambe servit sous les ordres de ce grand chef connu et respecté durant la guerre de 1939-1940. Giraud était le chef de la VIIe armée alors que Chambe commandait les forces aériennes et antiaériennes. Il organisa ses résidences clandestines à Lyon et autour de Lyon dès son retour d’évasion en avril 1942 et participa au sein de son état-major secret à la reprise des combats pour l’Afrique du Nord. Enfin, il fut son ministre de l’Information et son chef de cabinet militaire à Alger entre février 1943 et avril 1944.
Lire Au carrefour du destin. Pétain, Weygand, Giraud, de Gaulle (France-Empire, 1975), brève évocation dans Les cerises de Monsieur Chaboud (Plon, 1983), Tindouf et la pacification du Maroc (La Revue des Deux Mondes, 08/1956), Comment fut préparée l’évasion de Giraud (La Revue des Deux Mondes, 15/04/1962), enfin un projet de biographie jamais publié.
Dans les ruines de Bizerte libérée (Tunisie) le 7 mai 1943, le général Giraud, Commandant en chef civil et militaire, le général Juin, commandant le Détachement d’Armée Française (DAF), il est nommé le lendemain Résident général de France en Tunisie par interim, et enfin à droite le général Chambe, alors ministre de l’Information du général Giraud juste avant de prendre la tête de son cabinet militaire. Crédit photo inconnu, illustrant la 4e de couverture de Au carrefour du destin. Pétain, Weygand, Giraud, de Gaulle. France-Empire, 1975)
Alphonse Juin, commandant du Corps Expéditionnaire Français (CEF) en Italie. C’est sous ce commandement en 1944 que René Chambe le connut plus véritablement. L’admiration se mêla à l’amitié. Plus tard, René Chambe fit en sorte que le futur académicien fût honoré du titre de Maréchal de France en 1952 grâce à la complicité de son gendre Guy Jarrosson, alors député du Rhône. Juin fut son parrain pour la remise de la plaque de Grand Officier de la Légion d’Honneur en 1954. En avril 1967, il prononce en son honneur le discours d’inauguration du Pont du Garigliano à Paris. Chambe fut prolifique au sujet du chef qu’il a probablement le plus admiré et aimé et dont il a écrit une biographie :
Lire L’épopée française d’Italie, 1944 (Flammarion, 1952), Le bataillon du Belvédère (Flammarion, 1953), La bataille du Garigliano. De Cassino à Rome (J’ai lu, 1963), réédition du premier, Le Maréchal Juin, duc du Garigliano (Presses de la Cité, 1968). Nous ne mentionnons pas les multiples articles de La Revue des Deux Mondes qui reprenaient ou précédaient les livres.
Jean de Lattre de Tassigny, commandant la 1re Armée française « Rhin et Danube » pour la campagne de France de 1944-1945. A la dissolution du CEF, Chambe est rattaché à l’état-major de De Lattre comme il le fut à celui de Juin. Depuis le débarquement en Provence jusqu’à l’occupation au-delà du Rhin, Chambe trouve là encore un chef d’une trempe exceptionnelle.
Lire Le 2e corps attaque… Campagne d’Alsace 1944-1945 (Flammarion, 1948)
Joseph de Goislard de Monsabert, campagne d’Italie et campagne de France. Intimement lié à ces deux campagnes et aux deux chefs précédemment cités, Monsabert fut pour lui un autre camarade et chef digne de mémoire. Peut-être plus encore qu’à de Lattre, Le 2e corps attaque… est à son honneur.
Lire aussi les ouvrages cités plus haut pour Alphonse Juin sur la campagne d’Italie.
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La vie, l’œuvre et les archives du général d’aviation et écrivain René Chambe (1889 – 1983).
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