Nous l’évoquions par ailleurs, avec Le bracelet d’ébène, René Chambe se fait l’héritier de son père. Mort prématurément en 1902, cet officier de réserve, avocat à Lyon et un temps juge suppléant à Bourgoin-Jallieu mais qui n’exerça jamais vraiment, préférant sa situation de rentier, se lança quelques années avant sa mort dans un vaste projet littéraire. « Les romans de la terre » devaient être une série d’histoires faites pour « instruire en vous amusant et en formant votre intelligence et votre cœur » comme il l’exprime lui-même dans une lettre à ses deux fils en avant-propos du premier opus. Il ne se cache pas de l’influence de Jules Verne dans ses écrits résolument ancrés dans l’époque et dans les temps qui s’ouvrent avec toutes leurs promesses de découvertes et d’aventures. Seuls, et c’est déjà beaucoup, Droit au Pôle Sud (en deux tomes) et Au faîte de la Terre ont vu le jour, écrits dans son bureau de la propriété de Monbaly durant les années 1890.
Droit au Pôle Sud (1900)
Tome 1 : L’idée de l’ingénieur Simpson Gerlett
Tome 2 : Un tunnel sous l’Atlantique
Janvier 1897 à Valentia en Irlande. De New-York parvient un télégramme curieux invitant le premier venu à faire fortune en s’engageant dans un projet extraordinaire… C’est un Français, Paul Magritta qui ose répondre à l’invitation de l’éminent ingénieur new-yorkais Simpson Gerlett. Attaché à garder le secret de l’expédition qu’il projette, il s’en ouvre uniquement à Paul Magritta, un savant lui aussi. La destination ? Le Pôle Sud ! Jusque-là, personne n’y est parvenu bien que différentes côtes de ce qui apparait comme un continent, l’Antarctique, ont été découvertes. Seul Magritta connaît la vraie raison de cette expédition. L’objectif de Gerlett est altruiste : mettre pied sur de nouvelles terres pour obtenir des sols cultivables afin de nourrir la population mondiale qui va en s’accroissant de plus en plus et qui conduit inévitablement à une catastrophe sanitaire et politique. Il fait le pari que le climat qu’il y trouvera sera clément, et non un climat glaciaire. On entre alors dans un voyage d’aventures d’abord à bord d’un bateau en plein Atlantique (tome 1) avant de vivre un parcours extraordinaire dans la croûte terrestre, sous les eaux océaniques à bord de l’Hélix… (tome 2) Le voyage sous-terrain doit durer plusieurs mois, à raison de 7 mètres par minute pour huit milles kilomètres à parcourir. Cette étonnante machine, de l’invention de l’ingénieur, est capable de percer la croûte terrestre sans déblais, munie de son module de logement intégré à fixation articulée, cette « taupe » est aussi roulant et flottant. Droit au Pôle Sud !
Mais encore…
Véritable roman d’aventure et de science-fiction que Jules Verne semblait compter dans sa bibliothèque personnelle (référence internet : Volker Dehs, auteur du site http://www.verniana.org, La bibliothèque de Jules et Michel Verne, 22 novembre 2010), Emile Chambe propose à ses deux fils un grand voyage dans les sciences naturelles. Phénomènes météorologiques, courants marins, strates géologiques, minéraux, géographie terrestre… Ses leçons de sciences sont vite lues pour aller plus avant dans l’aventure à hauts risques que courent ses héros dans les tempêtes, les tremblements de terre, les torrents et les profondeurs terrestres. On s’amuse à la fois à lire les capacités de l’Helix, cette formidable machine, et l’état de la technique de l’époque, avec le télégramme et la vitesse des bateaux transatlantiques. C’est aussi l’occasion de s’intéresser à la découverte du continent Antarctique qui n’était alors que très partiellement connu. Le moyen d’y accéder est inédit : on met en action le pari audacieux du creusement d’un tunnel sous l’océan… N’oublions pas le chien Drägor qui partage leurs aventures, car ce chien est un clin d’œil aux enfants de l’auteur, rappelant ainsi « Dragor », un véritable chien de Monbaly.
Illustration : Droit au pôle Sud publié sous forme de feuilletons dans le Journal des Voyages à partir du 4 novembre 1900 (n°205, 2e série) jusqu’au (?). Ici, le premier numéro.
Publié également sous forme de feuilletons dans le Journal des Voyages, le récit est ainsi introduit pour le premier épisode (Journal n° 205, 2e série, Dimanche 4 novembre 1900) :
« Le récit fantastique que nous commençons aujourd’hui causera bien des surprises à nos lecteurs. C’est un monde que cet Hélix ! Un monde habité, qui, à bord de ce navire souterrain et dans un vertigineux emballement, au centre de la terre, pique DROIT AU PÔLE SUD. Les passagers de ce périlleux voyage sont appelés à de cruelles alternatives, auxquelles viendront s’opposer l’enthousiasme des merveilleuses découvertes. Par sa hardiesse, l’œuvre de M. EMILE CHAMBE est assurée d’un légitime et éclatant succès. »
René Chambe a donc repris le flambeau avec l’écriture de son premier roman Le bracelet d’ébène. On y retrouve un temps ce décor de science-fiction, sous-terrain et même sous-marin. Comme si l’idée de l’ingénieur Simpson Gerlett avait fait des émules dans le domaine de l’espionnage…
Des passionnés évoquent Emile Chambe et son roman Droit au pôle Sud :
– Un catalogue de taupes ;
– Des histoires de tunnel.
Au faîte de la Terre (1899)
Constantin Garroul, âgé de 34 ans est inspecteur-adjoint des eaux et forêt à Floppay-sur-Naôze, une bourgade solognote récemment apparue (mais bien fictive…). Nous sommes en septembre 1895. Les clubs et autres cercles ou sociétés mondaines rivalisent d’influence pour atteindre la première marche. C’est en tous cas le souci des membres du Cercle Alpin de Floppay, dont Constantin en est le président « malgré lui », rôle qu’il endosse finalement de bonne grâce. Un Club Alpin dans une des régions les plus planes de France… Un propos insultant publié par le journal local, tribune notoire de la société rivale de Floppay, provoque l’ire des membres du Club Alpin, vieux pharmaciens, notaires et notables bien incapables de gravir une colline. Constantin Garoul propose de laver l’affront non pas avec une réplique par voie de presse mais par un exploit alpin. Par un concours de circonstances, Garoul se décide à participer à une expédition « au faîte de la terre » dont le chef d’expédition annonce un objectif dans la chaîne himalayenne estimé à 9500 m. Il semble exister des sommets plus élevés encore que le fameux Gaourisankar (Ndlr : Gauri Sankar, 7134 m). Constantin part avec le jeune Placide Bourrut, le « garçon du Cercle » en direction de l’Inde pour le départ de l’expédition au milieu d’un équipage de treize personnes.
Illustration : Gravure pour illustrer Au faîte de la terre « La déconvenue fut grande de constater que la poule était à peu près crue et totalement immangeable. »
Mais encore…
Ce nouveau roman d’aventure choisit les hauteurs plutôt que les profondeurs. Ici, nulle question de science-fiction mais le chef d’expédition aura recours à un procédé bien mystérieux pour mener à bien et sans faille son expédition. Nous voici plongés dans la fascination des gens du XIXe siècle pour les « forces occultes » et le surnaturel… Le roman détient une indéniable part d’humour et une vision intéressante et amusante de cette société de la fin du XIXe siècle. Emile Chambe dépeint ainsi un futur membre de la marche : « un richissime Américain, qui, pour combattre le spleen dont il avait été atteint, sa fortune faite, s’était, à l’exemple de ces originaux qui ne vont en chemin de fer ou sur mer que pour dérailler ou faire naufrage, mis à tenter l’escalade de tous les hauts sommets du globe dans le seul but d’être spectateur, sinon victime, d’un accident de montagne ».
Un peu de biographie se glisse dans le roman puisque le héros, tout comme le chef d’expédition auront passé un temps de leur jeunesse à l’école Saint-Thomas d’Aquin à Oullins, près de Lyon, là où précisément Emile Chambe puis ses fils ont été scolarisés.
Ajoutons pour être complet sur l’œuvre d’Emile Chambe que sa première publication fut Christian Goël, une pièce de théâtre (Dizain & Richard, Lyon, 1891) dont l’action se déroule à Stockholm en 1820.
René Chambe évoque ici où là, à travers la figure de son père, l’écriture de ces livres (Souvenirs de chasse pour Christain, Le cor de Monsieur de Boismorand) mais c’est dans Les cerises de Monsieur Chaboud qu’on peut lire un amusant chapitre intitulé « Histoires de fakirs et d’hypnose », directement lié au récit de Au faîte de la terre.
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La vie, l’œuvre et les archives du général d’aviation et écrivain René Chambe (1889 -1983).
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